Douloureuse Algérie, prémices d'Ismaël ?

Offerts sur un autel qui n'est pas holocauste

J'écris d'Alger. Chaque soir j'y participe à la messe de l’Église Saint Charles, et chaque soir, quand revient le mémento des défunts, je sens se presser vers moi les morts des années tragiques. Ils affluent de tous les coins de l'ombre : ces martyrs des « ratonnades », ceux d'une répression contre l'OAS qui comporte sa part d'horreurs et de lâchetés. Mais une autre foule surtout assaille mon âme : ces soldats, ces jeunes hommes qui, parce que des gouvernements et même des régimes successifs le leur ont ordonné, sont allés mourir.

Guerre injuste ? Peut-être, mais l'heure n'appartient pas à la polémique. Guerre impure ? Certainement : l'autel n'était pas holocauste. Mais sans tache était la victime. Ces jeunes morts, je ne crois même pas vraiment coupables de leurs propres excès ceux qui en commirent. Qui de nous est tout à fait sûr d'avoir les mains pures de leurs fautes ? Et puis, quoi qu'il en soit, c'est la France par ses pouvoirs légitimes, donc c'est nous dans une solidarité nationale dont nous rejetons trop facilement le fardeau, qui avons voulu leur départ. Quels remords prétendons-nous étouffer en nous taisant ?

Car la France, depuis 1962, s'est tue. Le Chef de l’État n'a pas prononcé, à ma connaissance, un mot d'hommage pour ces soldats... A peine, au soir d'Evian, une parole qui les mêlait à toutes les autres victimes.

Au début, on pouvait comprendre. Trop grande s'affirmait la confusion politique. L'OAS risquait de troubler toute cérémonie et de la tourner en scandale. Mais aujourd'hui ? Les beuglements de M. Tixier-Vignancourt ne réveilleront pas les clameurs éteintes. Pourtant, dix ans après que soient tombés les premiers soldats d'Algérie, ni Notre-Dame, ni les Invalides ne se sont ouverts pour un Requiem national !

Je sais : je suis plus sensible parce que pour moi ces jeunes morts d'Algérie ont un certain visage, parce que pour moi ils sont un garçon dont, dans la solitude de ma chambre d'hôtel d'Alger, je viens de relire la dernière lettre – et j'ai sangloté comme au premier jour. Mais là n'est pas la question : car tendresse personnelle ou non, leur sacrifice a mérité nos honneurs, un hommage où ce soit la Patrie qui s'incline, une prière qui ne soit pas seulement silencieuse. Antigone était plus chrétienne que nous.