Douloureuse Algérie, prémices d'Ismaël ?

13/4/1965

 

Toute souffrance porte sa grâce. Après sept ans d'une guerre atroce, l'Algérie a retrouvé beaucoup de l'Islam qu'elle avait perdu. La communauté, la Djemaa, s'est ressoudée dans une renaissance, et telle est la Grâce, qui l'a ramenée vers sa source : la foi. L'unité sociale retrouvée reflète à nouveau l'unicité incommunicable de Dieu.

Pour nous aussi, après avoir tant souffert dans un conflit qui, cumulant les horreurs de la guerre étrangère et celle de la guerre civile, fut pour chacun de ses partenaires un des plus moralement cruels de l'Histoire, un tel signe est grâce, puisque nous sentons notre frère musulman, notre frère Ismaël revenir du désert où son agnosticisme à la progression lente mais sûre depuis un siècle l'enlisait. Déjà même tend à se répandre la doctrine, naguère professée seulement par quelques modernistes, qui concilierait à la fois l'action constante de Dieu et l'enchaînement des causes secondes. Elle prête à Dieu une « coutume constante » qui permet d'échapper à cet « atomisme » médiéval, par quoi la foi devenait incompatible avec la science et ses lois en attribuant à un Allah la théologie archaïque des volontés irrégulières et injustifiées comme les caprices d'un potentat. Combien d'âmes, par cette contradiction illusoire sont mortes à la foi ? Que la contradiction se dissipe, et le monde musulman, si près de tomber dans l'athéisme, est sauvé.

Mais en Algérie est né, engendré par sept ans de souffrance, quelque chose de plus profond encore : le sens du pauvre. Je sais : l'Islam a toujours pratiqué l’aumône : celle-ci constitue un de ses « piliers ». Mais le dévouement au pauvre est autre chose que l'aumône. Or, fait entièrement nouveau, chez de jeunes hommes est né, sans doute dans le creuset de la douleur, non seulement le désir de servir le pauvre, mais je dirai le goût du pauvre et la volonté de se consacrer à lui. Ils ne le secourent pas seulement, ils l'aiment. Ils sont peu nombreux encore : depuis quand Dieu a-t-il cessé de se contenter de dix justes ?

Ces faits, que sont-ils sinon, pas à pas, et dans la lenteur que Dieu met aux vrais déroulements de l'Histoire, le retour eschatologique du fils d'Hagar, tel que l'a promis la double bénédiction d'Abraham ? Ce Retour, je ne le vois pas dans le Tonnerre des Apocalypses. Bien plutôt n'en était-ce pas une première esquisse, quand si simplement Charles de Foucauld enseignait à ses Touaregs à, de leur chapelet, dire à Dieu leur amour plutôt que solliciter Sa pitié ? Ce Retour, il se fera de l'intérieur. Que le Royaume germe dans le grain de sénevé des bénédictions patriarcales : il envahira de sève le vieux tronc d'Islam, sans l'abattre, mais le faisant reverdir et l'étendant jusqu'aux dimensions de la Croix.

La foi qu'engendre une remontée vers la coutume, l'amour des pauvres qui pourrait bien être la découverte de la Charité, ne sont-ils pas la source que l'ange fit apercevoir à l'Esclave quand, dans son buisson, mourait de soif l'enfant Ismaël ?