Avec l'Algérie, sauver la coopération culturelle

La Croix 17/9/1969

 

Mauvais temps sur Alger. Cette ville ne le supporte pas. La mer, naguère pimpante, s'étire d'un vert sale entre les môles. Sans soleil, les palmiers deviennent aussi anachroniques que dans nos squares. Les bougainvilliers et les lauriers roses ont tu leur concert. Ils s'éteignent dans la grisaille ambiante. Les hommes traînent désemparés.

Ce  morne Alger évoque assez bien ce que sont devenus les rapports affectifs franco-algériens. Eux aussi s'estompent dans la grisaille. Contrairement à un préjugé souvent répandu à l'étranger, entre la France et l'Algérie ni haine ni vraie rancœur, mais plutôt une progressive indifférence née d'un double dépit amoureux. Nous, Français, avons été déçus. Les « libéraux » furent étonnés et naïvement offensés par toute erreur de gestion des Algériens. Ils avaient trop prédit que ce peuple, l'Indépendance conquise, vaudrait mieux que tous les autres.

Les anciens partisans de « l'Algérie française » ont eu, eux, à chacune des erreurs, l'impression qu'on dilapidait leur trésor. Aussi, n'avons-nous même pas vu l'immense progrès accompli par les algériens une fois passés les premiers tâtonnements de l'indépendance. Trois chiffres que je relève dans une conférence du Cardinal Duval suffiront à illustrer ce progrès. Ils ont trait à l'éducation :

De 1962 à 1968, en effet, les élèves sont passés :

Je pourrais citer aussi bien les résultats étonnants atteints dans l'industrie, mais qu'un assez irritant prêchi-prêcha socialiste nous a empêché d'apprécier à son prix.

Notre propre dépit amoureux s'est répercuté en déception chez les Algériens. Ils s'irritent de nous voir ne pas enregistrer leur réussite, car, secrètement, notre opinion compte plus à leurs yeux que toute autre. Ils s'en froissent d'autant plus qu'ils se sentent déjà frustrés  à ne plus tenir dans le monde la même place qu'aux heures de leur lutte.

De fait, si depuis 1962, nous avons octroyé de larges subsides au peuple algérien, si nos coopérants se sont dépensés avec dévouement, si nous avons montré une grande patience devant les rebuffades et même les offenses, nous n'avons pas apporté à ce peuple le seul bien dont il était vraiment avide : la considération.

Notre coopération fut dévouée, je l'ai dit. Elle fut efficace : lui a manqué je ne sais quel élan du cœur. Nous avons trop dû, vis-à-vis de l'électeur, la justifier (ou la dissimuler) afin d'en faire accepter l'effort fiscal : elle y a perdu en spontanéité. Surtout, nous n'avons pas su l'animer du souffle qui eût ému un peuple très sensible et comme un éternel adolescent, désireux d'être aimé. Menant une coopération un peu clandestine, nous n'avons pu lui imprimer le style qui eût séduit ces Méditerranéens.

Tout peut encore être réparé, pourvu que nous sachions accorder à l'effort algérien l'éloge qu'il mérite. Certes, le moment nous est difficile. Les relations officielles paraissent gelées (et cela malgré la position prise par la France vis-à-vis d'Israël). Nous essuyons de temps à autre des avanies. Qu'importe ! l'amour d'un peuple qui tout en prétendant s'en libérer, parle notre langue, d'un peuple jeune dont la jeunesse nous animera d'un nouvel essor, d'un peuple courageux surtout, est un bien trop estimable pour que nous ne surmontions pas des froissements même légitimes. C'est surtout la coopération culturelle qu'il importe de préserver et, j'ajouterai, développer. Grâce à elle, grâce à la parenté qu'elle entretient entre ce pays et le nôtre, les malentendus finiront par se dissiper. Puisse notre nouveau gouvernement le comprendre.