Note sur les excès de la répression en Algérie

 

Les témoignages verbaux venus d'Algérie, les récits de rappelés, les uns et les autres dignes de foi, obligent à penser que la répression a comporté de nombreux excès.

Nous ne nous sommes livrés à aucune enquête, nous n'avons pas procédé à des investigations. Nous avons même tardé à intervenir espérant que les premiers excès portés à notre connaissance avaient un caractère exceptionnel, étant inévitable que dans une guérilla il s'en produisît.

D'autre part en constituant le présent dossier, nous avons procédé à un tri sévère. Nous n'avons retenu que les documents relatant des faits plausibles. Nous avons écarté les « témoignages » qui circulent un peu partout, comme les informations paraissant résulter de simples on-dit.

Malgré ce tri sévère les faits venus à notre connaissance nous obligent à penser que très probablement de véritables crimes de guerres ont été commis et que les abus dans la répression ont été jusqu'à revêtir dans certains cas et en certains lieux un caractère systématique et organisé. Ces abus paraissent s'être exercés dans les domaines suivant :

      1. Emploi de la torture, notamment électrique, dans les interrogatoires ;

      2. Exécution sommaire d'otages et de suspects et représailles contre les populations,

      3. Comportement des parachutistes en Alger,

      4. Isolement de la Kabylie qui aurait comporté de graves conséquences humaines. Sur ce point les témoignages que nous possédons sont moins complets. Pourtant l'intervention d'un Conseiller de l'Union Française très estimé de ses collègues, M. Lechani, SFIO, auprès du Président Albert Sarraut donne le sentiment que des mesures très douloureuses pour les populations ont été adoptées.

La simple humanité commande que si ces faits ou des faits de cette nature s’avéraient exacts ils soient punis avec une extrême rigueur. Il importe donc que le Gouvernement mène d'urgence une enquête et soit impitoyable pour les excès qu'elle permettrait de déceler.

La simple humanité le commande, l'intérêt national aussi. Des campagnes d'opinion sont amorcées auxquelles à la longue la vérité des faits allégués donnerait une redoutable efficacité. Une mauvaise conscience de la nation – mauvaise conscience qui deviendrait légitime – attenterait gravement à son moral dans l'épreuve pénible que constitue pour elle l'affaire d'Algérie.

 

Meurtres de civils

Les faits ci-dessous se rapportent au secteur d'El H... Nord-Constantinois. Xe bataillon de Chasseurs à pieds. Cdt M...

 

I – fin août 1956

Opération héliporté depuis la base d'El H... ; mettant en œuvre deux « bananes » et un sikorsky, sur le village d'A...à quelques 10-15 km à l'ouest de cette dernière localité. Comprenant uniquement la section du S. Lt F... (Xe section de la Xe compagnie du Xe B.C.P.) soit une trentaine d'hommes.

Entre temps un enfant et un ancien combattant sont relâchés. Les sept restant sont emmenés pour être exécutés au radier de l'oued El K.... en aval d'El H... sur la piste d'A... (poste de la Xe compagnie).

Ils sont tués et poussés à l'eau. Mais deux jeunes s'enfuient le long de la rive gauche. On tire de toutes parts, notamment le Sgt T...sur son scout-car qui domine le lieu de l'exécution de la rive droite. Il tire d'abord à la mitrailleuse 7,62 puis à la I2,7. L'un d'eux paraît blessé mais ils parviennent à s'échapper.

Aucun des morts ne figurait sur une liste de suspects.

 

II – 30 août 1956

Une très forte embuscade est subie par le convoi (3 véhicules de la Xe Cie du 4e BCP stationnée à A…, à 1200 m du camp et à 800 m du radier de l'oued El K... sur le douar B... M... Il est 10 h du matin.

Résultat : 8 tués et 8 blessés dont le Capitaine V... blessé à la cuisse.

Les cadres perdent le contrôle de leurs décisions :

Des dizaines d'autres otages furent exécutés et poussés à l'eau. Les chairs grises et gonflées émergant par endroit des eaux profondes de l'oued. 52 périrent ainsi dans la première semaine d'octobre.

Ainsi furent tués un ouvrier travaillant en France, un commerçant de Constantine, venus passer quelques jours de vacances dans leurs familles, ainsi que le garçon de courses de l’Assistance médicale gratuite d'El H...

Des vols d'oiseaux de proie marquaient de loin les emplacements des lieux d'exécution.

Extraits du journal d'un appelé

 

8 mars – Vers II H rafale de mitrailleuse ; au loin des arabes courent, puis l'un d'eux s'abat. Un groupe de soldats part aussitôt dans la direction. Le type abattu rampe et essaye de se relever. Les arabes n'ont pas répondu à l'injonction qui leur avait été faite de venir vers le camp. Peu après le blessé arrive au camp ; une balle l'a traversé de part en part à hauteur de la poitrine et il a encore la force de faire un bon km en marchant. Il sera soigné à l'infirmerie, puis évacué sur Kenchela (il revenait, parait-il, lorsqu’on lui a tiré dessus  de chez le capitaine des affaires indigènes).

L'après-midi les paras et notre lt S... (en bras de chemise) ou sous les regards de S... tortureront les prisonniers. Coups de triques sur le dos, coups de pieds dans les testicules, coups de poings, eau ingurgitée de force, pendaison par les bras et même par les pieds. Les camarades défilent et regardent. On entend les hurlements des victimes. Il paraît qu'ils ont fini par cracher pas mal de choses. 4 de mes camarades assistaient à cette scène, en curieux. Rentrant le lt S. « Que faites-vous là les gars ? » Et eux de répondre : « On s'instruit, mon lieutenant... ». Bon reprit le lt : « Mais ne restez pas là. Je vous montrerai moi-même un autre jour... »(sic). Le soir trois groupes partent en embuscade. Le lendemain C. me dira qu'il a assisté à la plus belle horreur qu'il aie jamais vue et que peut-être il ne verra jamais. Les paras et quelques types de chez nous sont entrés dans une mechta et ont sorti du lit un chef fellagha. Ils ont voulu le faire parler. A poil et pendu par les bras à une poutre, ils l'ont lardé de coups de couteaux, mais il n'a rien dit. Il était méconnaissable, à moitié mort quand ils l'ont sorti pour le fusiller. Un autre arabe arrêté en même temps et le prisonnier qui avait vendu les deux autres et qui avait servi de guide, ont été fusillés à leur tour : les types étaient à genoux, éclairés par une lampe électrique et abattus par une rafale de mitraillette dans le dos. Évidemment la mechta a été retournée car il y avait parait-il des armes, mais on n'a rien trouvé. Le lt S. a eu une parole historique ayant réuni les trois condamnés, il s'est adressé au para qui parle l'arabe : « Dis leur que nous allons venger nos morts ». Au moment de revenir vers le camp un message avertit la patrouille d'une embuscade qui lui était tendue, une grenade antichar a fait fuir les fellaghas.

9 mars – Ce soir en me lavant je vois T. se diriger vers la prison avec du pain. Il ressort bientôt chercher de l'eau, je lui emboîte le pas et je découvre dans le gourbi qui sert de prison un arabe qui n'a plus pour ainsi dire l'aspect d'un homme. Accroupi, à demi-nu, attaché par les pieds, les bras derrière le dos, visage noir de poussière, de sang caillé et d'ecchymoses, les jambes elles aussi couvertes de bleus. Cet homme hagard dévore le pain que T. lui met dans la bouche et se jette sur l'eau. « Il n'a rien mangé et bu depuis bientôt trois jours », me dit T. L'homme me demande en arabe de lui remettre son pantalon, car il n'a qu'une veste sur lui. J'allais essayer de le photographier quand deux paras s'amènent et nous engueulent. Ils interdisent à T. de lui donner à boire : « Espèce de con, il faut le faire parler, on l'empêche de boire et de manger pour ça et vous vous démolissez tout. Foutez le camp ».

11 mars – J'ai eu quelques détails de plus sur la fameuse opération de l'autre soir : un para essaye de faire parler les femmes en menaçant d'égorger un gosse de cinq ans. Quand ils torturaient le chef fellagha, une porte à un moment donnée est restée ouverte et les femmes ont pu voir ce qui se passait. Cette méthode de torture : lié en chien de fusil, un bâton passé sous les genoux, on élève le condamné et on le laisse retomber sur le dos. Il y a aussi l'étouffement dans des baquets d'eau ou tout simplement la faim et la soif.

L'autre jour je vais dans la cuisine pour chercher à manger à un prisonnier dont personne ne s'occupait ; il est sous une guitoune, séparé des autres. Le cuisinier me donne des nouilles. Je lui demande un morceau de viande : « Non, juste ce qu'il faut pour soutenir, ce sont les ordres. » J'ai pu aller chercher du pain dans la piaule. Ce prisonnier a les pieds gelés depuis plus de huit jours. Un soir on les lui a tellement serrés dans le carcan que le froid aidant, le lendemain matin les pieds étaient gelés. Je les ai vus, énormes plaies rougeâtres, peau pelée, orteils noirs. Le toubib ne peut rien faire. La gangrène gagne. Pourquoi ne l'évacue-t-on pas sur Kenchela ? Il paraît que le capitaine des affaires indigènes veut en faire son affaire, ce fellagha trouvé dit-on les armes à la main semble destiné à mourir là de la gangrène et de la faim. Hier je suis retourné à la prison, mais le prisonnier auquel j'avais donné à manger avec T. avait disparu.

 

Extrait du journal d'un autre rappelé

Au début d'août nous arrivions à Boghar. Quelques jours après notre arrivée, je fus désigné avec 12 hommes et un G/M/C pour escorter la police qui devait contrôler un marché. A neuf heures du matin, nous arrivions, sur place après avoir couvert 25 km. Aussitôt, les flics demandent au garde-champêtre arabe l'emplacement des kabyles. Seuls ces commerçants furent contrôlés. Ils firent tous l'objet de plusieurs procès-verbaux. Qu'ils soient ou non en faute n'avait pas d'importance : ils avaient tort d'être kabyles. S'ils ne nous étaient pas hostiles d'avance, ils le devenaient ainsi automatiquement. Le midi, nous mangions dans la cour de la mairie. Un des gendarmes mangeait tout en se promenant devant l'entrée. Il repéra un homme qui rôdait près des bâtiments. Immédiatement notre flic amena ce suspect et la séance commença : « D'où viens-tu, qu'es-tu venu faire au marché, qu'as-tu vendu, à qui, pour quel prix, où est l'argent, pourquoi nous épiais-tu ? » Traduites en arabe par l'interprète qui nous suit dans tous nos déplacements, les questions pleuvaient drues. Chacune était accompagnée d'arguments « frappants » : coups de poings, plat de main derrière la tête, coup de pied dans le dos, tête cognée contre le mur, etc... La gamme était complète et variée. Le pauvre type perdait pied. Il se contredisait de plus en plus. Les coups redoublant de violence, je voulus m'interposer, les flics se mirent à rire, ridiculisant mes sentiments de « petite fille ». Puis, mes protestations devenant gênantes, il me firent comprendre que ce n'était pas mon affaire et qu'ils m'étaient supérieurs en grade. Finalement ils décidèrent d'embarquer l'homme pour le cuisiner à la gendarmerie. Ils insistèrent pour que j'assiste au spectacle. J'en avais besoin, parait-il, pour me forger le caractère...

Je vous assure que ce n'est pas beau. Pendant 10 minutes, il y eut la « séance du baquet ». La tête de l'homme est maintenue dans l'eau jusqu'à ce qu'il soit à demi asphyxié. Ensuite le prisonnier fut attaché sur une chaise. Deux piles mises en contact avec un pied servaient à l'électrocuter. A chaque décharge, l'homme hurlait. Mais il n'avouait rien. Il fut alors approché du robinet d'eau, toujours attaché. Un gendarme lui introduisit brutalement le tuyau dans la gorge. A la grande joie des spectateurs, on lui emplit le corps de flotte. J'ai cru qu'il n'y résisterait pas. Il faut voir un homme s'agiter chercher en vain à respirer, les yeux remplis de terreur et de larmes pour croire à de telles horreurs. Quand le tuyau fut retiré, l'homme se mit à déglutir sur ses vêtements de l'eau, de la nourriture, de la bile. Détaché, il ne tenait plus sur ses jambes. Nos pandores s'en servirent encore comme d'un punching-ball. Ne pouvant plus rien en tirer, ils le renvoyèrent sans ménagement.

 

Lieutenant-Colonel X...

Chambéry, 26 décembre 1957

 

Monsieur J. Fontanet

Député de la Savoie

36 , bld Émile Augier Paris XVI

Cher Monsieur,

Voici encore une histoire d'Algériens massacrés, mais qui me paraît de vérification plus facile et plus certaine que celle de janvier dernier, l'auteur du récit étant un démobilisé qui vient de rentrer chez son père professeur à Annecy.

Je connais ce père depuis la période qui a immédiatement suivi la libération de 1944, période où j'habitais Duingt (à 10 km d'Annecy sur le lac), et où je venais souvent à Annecy, sa fille mariée en mai 1944 y habitant avec son mari, et c'est mon gendre qui m'a fait faire la connaissance du professeur en question.

Le jeune raconte que, quelques coups de feu ayant été entendus dans la nuit, ses supérieurs ont envoyé son unité à la recherche des fellaghas auteurs supposés de ces coups de feu. L'unité n'ayant rien trouvé, ordre lui a été donné de saisir 15 personnes dans le village le plus voisin, et ces 15 personnes ont été immédiatement fusillées comme fellaghas. Le communiqué du lendemain signalait qu'une attaque de fellaghas avait été repoussée sans pertes pour nous, mais que 15 fellaghas avaient été abattus.

Le fait ainsi raconté m'est rapporté par mon gendre et ma fille qui l'ont entendu de la bouche de ce jeune homme dimanche 23 décembre dernier. Je ne connais pas le jeune homme, mais étant donné son père, je ne crois pas qu'il inventerait une histoire pareille qui, par certains côtés, me paraît vraisemblable.

J'ai connu, pendant la guerre 1914-1918, quantité d'histoires répondant au scénario suivant : un guetteur trop impressionnable croyait, dans la nuit, apercevoir une silhouette ennemie et tirait dessus, du côté opposé, on répondait à ce coup de feu ; là-dessus, les camarades des tireurs se mettaient à tirer à leur tour dans la direction de l'adversaire. Si, de l'un des deux côté se trouvait un sous-officier ou un officier calme et expérimenté il arrêtait le feu et se contentait de surveiller et de faire surveiller les alentours ; mais souvent, il n'y avait ni de l'un ni de l'autre côté, personne ayant assez de sang-froid et d'autorité pour arrêter le feu, et une violente pétarade se propageait le long du front, sur une étendue et pour un temps très variable. Et comme personne ne voulait avouer avoir fait tirer pour rien, le lendemain, on annonçait, des deux côtés que l'adversaire avait tenté un coup de main ou même une attaque, laquelle avait été repoussée, alors qu'en fait, il n'y avait rien eu que des sentinelles trop nerveuses.

Je crois donc très possible qu'en Algérie, des veilleurs trop nerveux tirent pour rien, et que des chefs trop désireux des honneurs du communiqué ne transforment ces coups de feu en attaques pour lesquels il faut trouver un assaillant...Seulement en 1914-1918 des balles et des obus tirés pour rien dans la nuit ne tiraient pas à grosse conséquence, tandis qu'en Algérie, fusiller des indigènes pacifiques français pour en faire des fellaghas est grave.

Je n'ai pas sous la main le Code de Justice Militaire, mais il me semble que celui-ci prévoyait la peine de mort pour tout chef prescrivant l'emploi des armes contre des populations non ennemies. S'il y a réellement des abus de pouvoir de ce genre, il serait bon de faire un exemple pour les arrêter.

 

Extraits d'une lettre

Le 10 août 1956

Mon emploi du temps ici change peu, si ce n'est des déplacements plus fréquents, vu que la zone est de plus en plus troublée par les attentats, embuscades... etc... J'arrive d'une tournée de 3 jours en montagne : T... - B... - O... – B…B... - T. J'étais volontaire pour cette tournée, car je voulais savoir ce qui se passait dans tous les postes les plus reculés du djébel. Partout j'ai vu la même chose ; des salles de torture où passent systématiquement tous les suspects et ce n'est pas toujours pour avoir des renseignements (un adjudant chef « tortionnaire » me l'a dit.) Un exemple qui n'est pas une exception : j'arrive à T..., c'est le désert typique du djébel, dans un fort dominant un piton où stationnent 28 rappelés et un adjudant (cela depuis 1 mois et demi) « Tu parles, me dit l'un d'eux, on fait un concours dans la cave... » ; je le suis dans cette salle de tortures. « Regarde celui-là, il est resté 2 minutes et demi la tête sous l'eau sans crever, c'est un record ». Il faut dire que dans l'eau étaient plongés 2 fils électriques, ce qui rendait l'Arabe violet foncé de la tête aux pieds. Tout interrogatoire se fait devant tous les volontaires de la section – et il y en a (surtout après un mois et demi c'est la seule distraction). L'interrogé est toujours nu et solidement attaché sur une planche ; couché à terre il commence à subir tout ce qui passe par la tête des spectateurs (je l'ai vu, donc j'ai le droit de parler et c'est pour parler que j'ai vu). On va leur faire grossir le « zob » dit l'un et aussitôt de lui frapper la verge violemment avec des cordes, des bouts de bois... un autre le brûle où il veut avec sa cigarette...Je te fais grâce du reste... Je te répète que j’ai vu parce que je voulais avoir le droit de parler...te dire ce que j'ai souffert intérieurement en voyant cela est inutile...tu le devineras bien... J'ai passé une journée sans pouvoir manger et deux nuits où ce que j'avais vu m'a empêché de dormir. Pour t'écrire, pour écrire chez moi, j'ai attendu  ce jour, car avant je n'aurais pas pu être tant soit peu objectif. Partout la répression est de plus en plus sanglante. Surtout depuis que chez nous nous avons eu 5 copains tués en embuscade. « Je veux du sang et du feu – quartier libre » « Vos ordres ? » : « carte blanche », il faut détruire... !! C'est le mot d'ordre de la plupart des officiers.

Qu'on ne me mette plus devant les yeux une de ces images qui veut prouver  que la « pacification » existe – car ce sont trop des exceptions. Bien sûr, quand M. Lejeune visite la Kabylie, c'est une visite organisée, très bien organisée, même que le colonel du 67e RI avertit aussitôt les bataillons de ne pas lui montrer les camps de prisonniers... Toutes les enquêtes faites ici sont organisées, tout comme les voyages dans Paris où on montre les beaux monuments.

 

Témoignage d'un rappelé

Le 23 janvier 1957

Algérie

Je voudrais présenter quelques faits de guerre qui posent un problème moral. On ne s'étonnera donc pas de ne trouver que les aspects plus ou moins horribles de la guerre. Il ne s'agit pas d'un reportage. C'est intentionnellement que tous ces faits sont ainsi groupés et que tout le reste a été écarté. On se rappellera donc que, malgré les apparences, ce n'est pas un acte d'accusation de l'armée. Ce n'est pas non plus un plaidoyer pour ou contre la politique de pacification. La partialité serait alors évidente. Ce sont des FAITS, rien de plus. Mais des faits qui m'ont inquiété, embarrassé, angoissé, et sur lesquels un moraliste aurait sans doute son mot à dire.

2 juin 1956

6 heures. Embuscade qui fait 14 morts G.M.P.R. Les felleghas s'enfuient par le N.W.

Réponse des forces de l'ordre.

Neuf heures. Les camarades (arabes) des victimes récupèrent 35 suspects dans les villages des alentours de l'embuscade.

Ces suspects sont alignés dans un champ de blé, par rangée de six, sur le bord de la route nationale. Les camarades rappelés regardent. 5 ou 6 travailleurs arabes qui passaient par hasard, montés sur un camion de pierre, sont arrêtés et mis avec les suspects...malgré les supplications de la femme de l’entrepreneur (une française) qui affirmait que ses ouvriers étaient innocents.

Pendant plus d'une heure, j'ai pu voir brutaliser les prisonniers : coups de pieds bas, coups de crosse dans l'estomac, les côtes, la nuque. L'homme tombe assommé. On jette un seau d'eau sur ceux qui s'obstinent à rester allongés. Coups de cravache pour les faire se relever et l'on recommence. Tous n'arrivaient pas à se relever.

Trois des suspects seraient morts sur le champ. Tous les autres ont, selon toute vraisemblance, été fusillés dans la soirée. Un des Arabes ayant fait partie du peloton d'exécution m'a assuré que le lendemain 21 autres auraient été fusillés y compris femmes et enfants. La précision dans les détails laisse supposer que c'était exact.

Dix heures. Notre bataillon est alors entré en action. On a eu ordre de brûler les trois ou quatre villages situés dans la direction prise par les fellaghas. L'ordre a été exécuté, mais nous prenions soin de faire évacuer les femmes et les enfants. Les hommes eux, étaient tous en fuite.

Quant aux villages plus éloignés (où il n'était pas possible de se rendre le jour même) ils ont été mitraillés par quatre avions de chasse et bombardés à la roquette. Les officiers étaient cependant bien d'accord pour estimer que la bande était déjà loin dans la montagne.

5 juin 1956

Du 5 au 9 juin, grande opération dans le djébel S. A l'actif du bataillon on peut noter au moins quinze arabes de tués. Et pourtant nous n'avons pas vu un seul fellagha, pas essuyé un seul coup de feu.

Un exemple du premier jour. Les villages que nous devons traverser, étant systématiquement mitraillés et bombardés, toute la population s'est réfugiée dans les grottes et les ravins. Des gars de la compagnie trouvent des gens dans une grotte. Un homme sort, les mains en l'air. Une rafale part, l'homme tombe. Les autres ne veulent plus sortir. Un camarade entre dans la grotte et mitraille les occupants (7 personnes). Pour se débarrasser des cadavres, on les traîne dans l'oued.

Quelques cinquante mètres plus loin, le même gars tombe sur un fuyard blessé ; il l'achève d'une rafale.

Prisons de N.

Malgré les agrandissements, les prisons de la caserne sont trop petites pour les 140 à 160 prisonniers ou suspects. Dans une cellule pour 4, où il y a deux bat-flancs, on a mis pendant plusieurs semaines 15, 25 prisonniers (peut-être plus). J'ai pu constater et un prisonnier m'a affirmé qu'il était impossible de s'allonger. Il faut dormir accroupi. Les plus fatigués se relaient sur le bat-flanc. Les détenus mangent les restes de la troupe dans des seaux à confiture. L'odeur, la chaleur humide et lourde rendent l'atmosphère irrespirable surtout en juin, juillet, août. La nuit on urine dans un coin de la cellule et ça sort par dessous la porte.

La torture

Tous les internés subissent des interrogatoires successifs très durs : (passage à tabac). Un bon nombre ont droit à la torture. La torture à l'eau, par exemple (faire ingurgiter avec une sonde 5 ou 6 litres d'eau) et la torture électrique sont appliquées méthodiquement. Il est très difficile de dire quelle proportion de prisonniers est ainsi torturée. Ce qui est sûr, c'est que les séances de torture ont lieu à la caserne, plusieurs fois par semaine.

Deux fois, par hasard (le 14/3 vers 21 heures et le 1/9 vers 16h) j'ai pu assister derrière la porte à une séance de torture. Il faut dire qu'il existe une salle spéciale de torture : poulie au plafond, anneaux dans le mur, corde, nerfs de bœufs, génératrice électrique. Il existe aussi un personnel spécialisé : la police judiciaire. Un officier de l'armée (officier S.A.S.) y assiste souvent.

Ça commence par un passage à tabac en règle, qui ne laisse cependant pas de traces physiques. Puis le patient, les mains liées derrière le dos est suspendu par les poignets au plafond, grâce à la corde et à la poulie. Au bout de quelque temps, il y a désarticulation complète des épaules. On s'arrange pour que le bout des doigts de pieds touche de justesse le sol. L'interrogatoire continue. J'ai entendu de mes propres oreilles un patient répondre : « Je ne dirai rien, de toutes façons vous me tuerez ». A la fin, on applique un fil électrique sur les parties et un autre à l'oreille et pendant quelques secondes on tourne la manivelle de la génératrice. L'homme alors se tord de douleur et hurle à mort. On ne sait plus si c'est un homme ou une femme qui crie, tellement la voix est altérée. On relâche doucement la corde, le patient s'affale sur le sol comme une loque. Il urine, parfois fait dans son pantalon, c'est la relaxation, l'esprit est dans une sorte de demi-conscience. C'est à ce moment qu'on peut, quelque fois, obtenir des renseignements.

La corvée de bois

Le sort final de ces gens ainsi torturés ne fait pas de doute, c'était ce qu'on appelait « la corvée de bois ». A la nuit, la jeep de la police arrivait dans la cour de la caserne ; l'homme de garde allait chercher parmi les prisonniers ceux qui étaient désignés et les faisait monter dans un véhicule. Quelques minutes plus tard, sur une falaise bien connue, près de la mer, l'exécution avait lieu. Il est très difficile d'évaluer, même approximativement, le nombre de personnes envoyées chaque semaine à la corvée de bois : 5 ou 6 peut-être beaucoup plus.

Quant aux fellaghas en uniforme, faits prisonniers au combat, leur sort n'est pas meilleur. Je peux citer un exemple qui donne la ligne de conduite généralement tenue. Le 31 octobre 7 fellaghas sont fait prisonniers. Après les avoir fait défiler en ville sous bonne escorte, on les a remis au bataillon qui les avait fait prisonniers, celui-ci s'est chargé de les faire passer à la « corvée de bois ».

Note : un des premiers fellaghas en uniforme que nous avons pris a été, pendant une demi-journée, attaché au fond de sa cellule ; la porte était ouverte et chacun pouvait venir cogner dessus à sa guise. Les visites n'ont pas manqué.

Octobre

Courant octobre, un jeune arabe (17 ans) d'un village voisin vient au poste pour demander protection. Son père avait été égorgé, plusieurs mois auparavant par les fellaghas. Au bout de quelques jours, il demande à être habillé, puis armé et il patrouille avec nous.

La réaction des fellaghas est immédiate. Quatre personnes de la famille du goumier sont enlevées par les rebelles, sa grand-mère est trouvée égorgée.

Nous bondissons au village dès le matin. La population ne nous donne aucun renseignement. Le jeune Arabe dénonce alors deux hommes du village, et les accuse de complicité avec les fellaghas. Ces homme sont déjà fichés : nous les emmenons à la prison du poste.

Une séance de torture avec les moyens du bord ne donne rien. Embarrassé de ces prisonniers, le capitaine imagine alors un scénario : faire croire aux autres prisonniers et aux gens du village que les deux hommes se sont évadés, qu'ils ont voulu rejoindre les fellaghas et qu'ils ont été égorgés malgré tout (c'est du moins ce que m'a dit l'interprète).

Quoiqu'il en soit du scénario, une nuit suivante, on fait sortir les deux hommes de prison. Deux camarades, que j'accompagne, vont alors dans la prison, et agrandissent, sans faire de bruit, la lucarne avec une barre à mine. Pendant ce temps, une section emmène les deux types ligotés et bâillonnés. A une dizaine de mètre de l'entrée du village on s'arrête. On fait s'allonger les deux hommes sur la piste. On leur attache les pieds avec le cou. Le jeune Arabe s'approche, tire son poignard et leur tranche la gorge. L'opération est terminée, la section revient au poste.

5 octobre

Dans la matinée, le bataillon est appelé pour ratisser un djébel. Plusieurs heures auparavant, l'aviation y avait pris à partie une colonne de rebelles. Le djébel est désert, pas un coup de feu. Au cours du ratissage, derrière un buisson, on découvre un blessé. Trois ou quatre gars l'entourent, il est en uniforme, il n'a pas d'arme et il parle français. Par radio, on demande des ordres au commandant : Que faut-il faire ? La réponse arrive : envoyez-le au Maroc. Les gars ont compris... une rafale de mitraillette part. Pour plus de sûreté, on loge une dernière balle de pistolet dans la tête. La progression continue.

Le même jour, dans la soirée, nous marchons sur une piste de montagne pour regagner les camions. Sur le bord de la piste, un cadavre d'Arabe. B. de la 4e section (rappelé parisien) « Je te parie que je ramène une oreille de fellagha » C. (son collègue) « 22 » C. sort son couteau, coupe l'oreille et la tend à B. qui la met dans son porte-feuille. B. ira demander du formol à l'infirmerie – qui lui sera quand même refusé – et ne jettera son souvenir que lorsque les copains lui auront dit « jette ça, c'est dégoûtant, ça pue ». Réaction de son chef de section : « Si ça lui fait plaisir... on ne fait pas la guerre avec des enfants de chœur ».

18 octobre

Un camion de l'escorte de l'administrateur de N. saute sur une mine. C'est à un kilomètre du poste, il y a six morts. Sur une fréquence radio, je peux entendre l'administrateur réclamer 50 coups de 105 sur le village le plus proche du lieu de l'attentat. Les règlements militaires ne permettant pas un tir, le tir est refusé.

Mais quelques heures plus tard, huit arabes sont exécutés sur les lieux même de l'attentat. Ce sont – dans la meilleure hypothèse – des civils plus ou moins suspects que la police est allée tirer des prisons de N. Mitraillés sur le bord de la route de montagne, ils ont été poussés dans le petit ravin. Je peux les voir, le lendemain en passant. Ils gisent à flanc de talus, recroquevillés, entassés les uns sur les autres, à quelques mètres du passage des véhicules. Je repasse le 3 novembre, ils y sont encore... Je repasserai plusieurs fois ensuite, les corps pourrissent au soleil, dévorés dans la journée par les corbeaux et la nuit par les chacals que nous pouvons entendre hurler du poste même. Ça pue à deux cent mètres à la ronde. Quand nous passons en convoi, nous nous bouchons le nez, et les chauffeurs accélèrent.

Vers le 15 novembre, on jugera que l'exemple a assez duré, ou que cela empeste vraiment trop, et l'on fera recouvrir de terre les cadavres. Réactions des gars : ça n'est pas hygiénique, on aurait pu attraper des maladies.

 

Attitude de la police à Alger

Un musulman chaouche, depuis de nombreuses années travaille dans une entreprise où il est très estimé, rencontre une patrouille de tirailleurs sénégalais. Il leur présente des papiers en règle, mais les sénégalais ne sachant pas lire l'emmènent quand même au poste de police. Là sans regarder ses papiers ni lui poser aucune question on l'aligne nez au mur avec d'autres musulmans qui se trouvent là, et sous prétexte de les aligner on les bourre de coups de pieds, si bien que ce chaouche a eu le coccis fêlé.

 

Attitude des parachutistes à Alger

 

1) Une compagnie de parachutistes a été cantonnée dans les sous-sols de la Mairie. Une nuit, trois d'entre eux, déguisés en civils, sont montés à l'appartement des hôtes de marque et se sont emparés du valet de chambre noir. L'ayant entraîné avec eux ils l'ont torturé pendant onze heures ; le malheureux a eu, entre autre, le nez cassé.

Le liftier a été victime de sévices encore plus graves.

2) Dans la Kasbah, un lieutenant et quatre parachutistes se présentent chez un ancien combattant musulman, père de dix enfants. Il est une heure du matin. Le lieutenant demande au musulman : « Donne-moi ton pétoire et son étui ». Le musulman répond « Je ne sais pas ce qui vous permet de me tutoyer. De pétoire je n'en ai pas. Quant à un étui, en voilà un ». Et il tend au lieutenant l'étui de sa Légion d'Honneur.

Celui-ci jette l'étui par terre en disant : « Qu'est-ce que vous voulez que cela me foute ».

3) Un musulman est interrogé, square Bresson, par une patrouille. Il met en avant sa qualité d'ancien combattant. Immédiatement, et à son plus grand étonnement, les quatre parachutistes qui l'avaient interpellé lui tombent dessus à coup de poing.

Des témoins dignes de foi nous ont affirmé que des faits de ce genre s'étaient produits en très grand nombre et même de beaucoup plus graves, et que la crainte et l'indignation ont poussé à prendre le maquis de nombreux musulmans, jusque là sans activité rebelle ou même favorables à notre cause.

 

Autres témoignages

1) 15ème régiment de Tirailleurs Sénégalais – région sud de Philippeville

Le service de renseignements d'un des bataillons de ce Régiment emploie habituellement la torture pour obtenir des fellaghas arrêtés au combat les renseignements nécessaires, pratiquement tous les fellaghas arrêtés au cours de l'année 1956 par ce service ont été torturés (électricité, eau etc).

Un des membres de ce service témoigne que les fellaghas torturés sont dans un tel état, après être passés dans les mains de son service, qu'ils sont tous confiés à des patrouilles de tirailleurs sénégalais et abattus à quelque distance de là. Sur les statistiques officielles ils sont portés comme morts au combat.

2) 2ème D.I.M. à Mesloula par Clairefontaine (Constantine) Algérie

29 septembre 1955 – opération dans le djébel de Beni Amroul -

Témoignage d'un des soldats participant au « ratissage » :

« Voici comment sont morts sept à huit rebelles. Pour terroriser les prisonniers, on a pris parmi ceux qui étaient renommés les plus suspects, on les a alignés et tués l'un après l'autre ».

3) 15ème R.I.M. Kellermann par Guelme (Bône) Algérie

5 juillet 1956 – Témoignage d'un témoin à propos des tortures pratiquées par les services de renseignements :

« Aucun des torturés n'en est mort. On ne meurt pas avec du courant de 110 Volts. Ensuite, aurions-nous des renseignements des maquisards en leur disant : Monsieur, asseyez-vous, etc... »

4) 4ème Région de Constantine

un officier témoigne que :

          1. Son colonel a « foutu à la porte » de son régiment les services de police venus d'Alger et qui se permettaient de torturer les fellaghas prisonniers ;

          2. Que dans un régiment voisin, fin 1956, une Compagnie, attaquée par surprise dans un village arabe, après s'être défendue et après avoir rétabli la situation, a fusillé au fond d'un ravin soixante-huit femmes et enfants qui avaient participé à l'attaque de cette Compagnie.

Cet officier ne veut pas révéler le nom de son unité, parce que malgré ce fait, elle poursuit habituellement une belle œuvre de pacification.

 

Situation à Oran

Quoiqu'avec un certain retard, il n'est pas inutile de donner quelques détails sur la situation à Oran durant le mois écoulé.

Deux points à signaler :

I -  Surveillance de la ville et des faubourgs par les Unités territoriales

Depuis la relève des rappelés par les hommes du contingent pour les tâches de pacification de l'Algérie, il a été créé ce qu'on appelle des Unités Territoriales.

Elles sont composées de civils de 25 à 40 ans, rappelés quatre ou cinq fois pendant le mois, pour des gardes ou des tâches de surveillance, de jour ou de nuit, de 12 ou 24 heures.

Ils sont habillés, armés et considérés comme mobilisés sur place – dans les villes pour les citadins, dans les campagnes pour les villageois et aussi à opérer la surveillance et quelque fois la fouille des passants dans les rues. Ces U.T. font des patrouilles par quartier, accompagnées d'un agent de la police d’État qui leur donne les ordres de surveillance et de maintien de l'ordre.

Il y a environ un mois et demi, un matin au petit jour au moment de la relève, dans un faubourg de population musulmane, des territoriaux ont été mitraillés : deux morts, plusieurs blessés.

Depuis ce jour les réactions ont été très vives dans les U.T. qui ont essayé de se rassembler en un meeting au nombre de plusieurs centaines.

Dès avant la grève FLN ils ont pris une attitude hostile vis-à-vis de l'ensemble de la population musulmane – avec bien entendu parmi eux une minorité des gens raisonnables qui les désapprouvait.

Les vexations, les brutalités de toutes sortes avec coups de feu à la moindre occasion, ont dépassé la mesure, tant et si bien que des témoins en ont été quelquefois outrés. Nous en avons eu des échos très sûrs.

Actuellement la population arabe craint l'action des territoriaux plus que tout autre. C'est de notoriété publique.

Ces exagérations sont dues à l'esprit de représailles, excité souvent par la police – permises sinon encouragées par certains officiers d'unités territoriales.

Une des Compagnies U.T. vaut ce que valent ses officiers.

Les exactions contrecarrent la pacification. Elles sont tellement flagrantes que nous avons cru devoir faire une démarche personnelle auprès de l'IGAME d'Oran. Il connaissait la situation et nous a fait savoir qu'il donnerait de nouveau les ordres de modération nécessaires.

II - La grève du FLN

La presse de France a suivi dans le détail le déroulement de cette épreuve de force qu'a voulue le FLN en déclenchant sa grève sur l'ensemble du territoire algérien, campagnes comprises.

La radio d'Alger et les journaux avaient diffusé l'avertissement que les magasins seraient ouvert de force et que les marchandises ne seraient pas protégées.

C'est ce qui fut fait.

Nous pouvons donner des détails sur ce qui s'est passé à Oran.

A peu près tous les magasins musulmans avaient fermé – dans les marchés les vendeurs absents – Une forte proportion de grévistes étaient contraints et forcés.

Par ordre du Préfet – les devantures ont été brisées par la police – l'armée – les pompiers – sans ménagement, sans égard pour la personne du propriétaire, systématiquement : sous les yeux de la foule.

Et l'on vit le spectacle de policiers invitant au pillage, disent certains, mais incontestablement y assistant sans intervenir pour y mettre fin.

Bien mieux, des CRS, des policiers ont refusé d'arrêter les vols, le massacre, sous prétexte qu'ils n'avaient pas d'instructions.

Quelquefois du matériel a été brisé à l'intérieur des magasins par la force publique même.

Un grand commerce indigène au centre de la ville a été mis à sac par la population sans qu'aucune autorité intervienne.

Le scandale fut une honte pour les Français d'origine, il a rejailli sur la France.

Dès le mardi 29 personnellement nous avons joint notre voix à celle du Conseil d'Administration d'un quotidien d'Oran, qui fut reçu par le Préfet.

Les faits si patents et si révoltants ont amené l'IGAME à ordonner l'arrêt des ouvertures dès le lendemain. C'était trop tard, le mal était fait.

Quelques trois ou quatre poursuites pour vol ne pouvaient effacer le scandale.

Ce n'est pas la pacification.

L'ordre « d'ouvrir » par la force (« ouvrir » est un euphémisme devant ces bris de portes et de vitrines), n'a pas été suffisamment réfléchi.

Il est probable que nous avons perdu là bien des amis musulmans.

On en vient à se demander de quel côté les autorités vont prendre avis et renseignements. Elles agissent souvent comme les « ultras » de droite – dont elles semblent suivre les conseils. La police, avec ses déformations et ses œillères, demeure au centre des informations admises.

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XX

Les faits reprochés à nos territoriaux et aux pouvoirs publics ne peuvent tout de même pas nous faire oublier les crimes et horreurs des rebelles sur des femmes, des enfants, des vieillards, et le terrorisme par bombe sur des foules inoffensives.