Grave semaine en Algérie

Forces nouvelles 1956

L'expérience politique dont nous sommes les spectateurs commence mal en Algérie. Huit jours auront suffit à un réchauffement certain de la situation, réchauffement qu'un gouvernement plus large aurait pu éviter. La défiance des Européens d'Algérie se conjugue avec l'idée répandue dans les milieux musulmans que l'heure des grandes exigences a sonné. Ainsi le fossé s'est-il encore creusé entre les deux communautés d'Algérie : telle est pour l'avenir la pire des hypothèses.

Il ne s'agit pas d'excuser les manifestations des Européens d'Algérie, même s'ils ont la circonstance très atténuante de la terreur, même si la désignation du Général Catroux, dont le nom évoque surtout des départs, avait de quoi surprendre.  Il ne s'agit pas de les excuser car leurs manifestations sous les yeux des Musulmans étaient inexcusables : on aurait pu du moins éviter de provoquer leur colère, surtout pour ensuite céder devant elle.

C'est déjà un paradoxe pénible qu'au moment où nous manquons de troupes pour les opérations militaires, il faille en distraire pour protéger le chef du gouvernement et celui qu'on croyait devoir être son ministre résidant (avec un « a » bien sûr). Certes, en ses propos, M. Guy Mollet s'est montré prudent. Par sa déclaration ministérielle comme par ses discours, il s'est employé à calmer les inquiétudes et même les susceptibilités. Il ne s'est pas laissé enfermer dans les dangereuses formules préfabriquées : fédéralisme ou intégration. Il a énoncé des vérités : qu'aucun régime ne doit être établi en Algérie sans l'accord de ses populations ; que toutes ses populations doivent être représentées équitablement ; que l'Algérie possède une personnalité propre. Il bénéficie de quelques amitiés solides parmi les Algériens. Il aborde le débat avec une honnêteté d'esprit que nul ne  conteste et qui, si leur nervosité n'est pas trop vive, aura de quoi désarmer les opposants. Malheureusement jouent contre lui les surenchères démagogiques d'une campagne électorale encore très proche et les diatribes fâcheuses de certains membres de son parti et du parti radical-socialiste. Lui-même s'est gardé des outrances. Mais si « L’Humanité » rappelle malignement que la campagne SFIO s'est faite sur un thème de paix à tout prix  et de non effort militaire, elle n'est pas seule à en garder le souvenir. Voilà, au fond, le pire obstacle rencontré par M. Guy Mollet dans la mission pacificatrice qu'il s'est donnée. Peut-être même qu'aujourd'hui à proclamer en trop gros titres la paix, on risque d'enraciner la guerre.

Obstacle d'autant plus périlleux qu'il lui faut avant tout rassurer les 1 200 000 Européens d'Algérie (c'est trop vite fait de les liquider en les classant « poujadistes ») que découvrait récemment dans « l'Express » M. Mendès-France. Sinon, aux portes du désespoir ils se livreront aux pires extrémités. On entrerait encore plus dans la dialectique de la terreur. Les rassurer ne veut pas dire obéir aux injonctions de leurs porte-parole parfois abusifs. Trop d'entre eux n'ont encore rien appris. Mais d'abord leur donner le sentiment que leur vie ou leurs biens seront protégés dans l'immédiat et préservés dans l'avenir. C'est dire qu'il n'y a pas de solution du problème algérien quelle qu'elle soit, sans un effort militaire.

Cette solution, M. Guy Mollet la trouvera-t-il en Alger ? Aucun Français ne lui en marchandera le vœu.