Nouvelle consultation algérienne

Les villes dévorantes

Tout rapprochement entre l'Algérie et le Maroc est un mensonge. Par la volonté de la géographie, ces deux pays se tournent le dos. Un désert les sépare, et l'orientation des montagnes.  La politique se confiant du Rif à l'Espagne achèvera de détacher de la Méditerranée le Maroc français. Il est atlantique, il est rude, il est salubre : les déserts entre l'Algérie et le Maroc, ce sont aussi des siècles...

Aussi n'y trouve-t-on pas la même sclérose économique. Les milliards, beaucoup moins concentrés, s'y entre-dévorent joyeusement, et quand les milliards s'entre-dévorent il tombe toujours des miettes pour les autres. Je n'ignore pas, évidemment, sur quel système de la sueur s'érige dans le Sud telle respectable fortune. Malgré tout, on sent un pays plus sain et plus jeune. Ce sont milliards, mais beaux milliards adolescents.

Mon propos n'est pas de parler du Maroc. Si je commence à connaître l'Algérie où chaque année me ramène plusieurs fois, je n'ai que très peu séjourné au Maroc. J'exprimerai simplement une inquiétude : une énorme ville, Casablanca, ne-va-elle pas miner le Maroc, comme Dakar, Abidjan, Douala, Pointe-noire et Brazzaville minent l'Afrique noire ? La spéculation aidant, on bâtit des villes géantes. Les terrains s'y vendent plus cher qu'au centre de Paris. A Casablanca les gratte-ciel, qu'ils s'érigent dans un azur vierge ou dans la brume, évoquent San Francisco. Cette richesse – ou cette évocation – ne sont-elles pas illusoires ? Certes Casablanca est un des Grands relais du monde, certes les industries trouvent profit à s'établir dans ce pays de « porte ouverte » et de peu d'impôts. Pourtant, cette ville n'est-elle pas en déséquilibre avec un arrière-pays ruineux ? Afrique atlantique, mais Afrique quand même, le Maroc avec de longues étendues désertes, des collines ravinées jusqu'à l'os. Le printemps semble s'en être détourné : ces étendues sont trop pauvres même pour les fleurs des murailles.

Et les campagnes se dépeuplent pour Casablanca. Ainsi surgissent, d'année en année, des bidonvilles. Ils submergent tout, ils s'insinuent entre les villes européennes et les riches palais mauresques, ils comblent chaque vide de la cité, ils poussent jusque dans les ruelles des médina. A Rabat, des bidonvilles se sont glissés dans le Palais du Sultan ! Ainsi se pose, également, chaque jour plus grave le problème des médina – plus grave et plus vrai que celui des bidonvilles, même si moins spectaculaire. Dans les récentes enquêtes, on ne paraît pas avoir vu, ou du moins montré, que le bidonville n'est que l'effet d'un autre mal, l'exode rural. Construire la cité surréaliste (on la croirait rêvée par Salvador Dali) d'Aïn Chock n'est qu'un palliatif et non un remède. Délivrer les campagnes des exactions féodales, y relever les salaires, en écarter la faim par des procédés modernes de culture : l'effort ne doit-il pas être porté avant tout sur ces points ? Simples interrogations, craintes que j'exprime après beaucoup d'hésitations. Mais j'ai peur que de récentes indignations, en poussant l'Administration à remplacer les bidonvilles par des médinas demain, surpeuplées et accélératrices, par leur réussite même, de l'exode rural, n’accentuent le mal au lieu de la corriger. Simples interrogations : pour oser être affirmatif, il faudrait beaucoup mieux connaître ce pays. Le Maroc ne se livre pas en trois semaines...