Autobiographie

La tapisserie de Bayeux

 

La tapisserie de Bayeux a échappé aux Allemands. Pendant quatre ans ils l'ont réclamée, et pendant quatre ans on a pu la leur dérober. Aujourd'hui qu'on l'expose comme triomphalement au Musée du Louvre elle en acquiert une valeur symbolique. Et ne représente-t-elle pas un débarquement ? Ce débarquement en Angleterre que les Allemands n'ont pas osé, mais aussi ce débarquement de nos alliés, qu'eux, ils ont mené à bien.

Curieuse histoire, celle de ce tissu brodé. On l'appelle la Tapisserie de la Reine Mathilde, et ce n'est pas une tapisserie, et la Reine Mathilde n'en est pas l'auteur. Peu importe d'ailleurs. Ce long tissu de 70 mètres sur 0 m. 50, divisé en trois registres, nous conte, entre deux frises truculentes sur les fables d’Ésope, la conquête de l'Angleterre par le duc Guillaume. Exactitude du décor, costumes, armement, habitation, c'est un document remarquable sur le XIe siècle. Mais surtout, c'est une des plus belles pages de notre art. Elle égale les verrières de Chartres, les chapiteaux de Vézelay.

D'abord son rythme. Tout est mouvement dans la tenture de Bayeux. Et chacun des groupes se compose avec équilibre. Et puis ce réalisme en dehors de la réalité ! La tapisserie de Bayeux tend à un réalisme d'une nature plus subtile que la reproduction académique des choses. Par dessus la Renaissance et justement cet académisme qui en découle elle rejoint notre art moderne. Comme lui elle « effore » plus de saisir l'essence des choses, leur rythme, plus que leur aspect immédiat. Et c'est le même souci de synthèse. Quelques lignes, c'est la mer. Nous le savons tous, et nous la voyons bien mieux, nous la sentons bien mieux, que dans je ne sais quel chromo glacé d'exactitude.

Les sept ou huit tons de la tapisserie sont assez fanés, mais on l'imagine, dans sa bigarrure étincelante, vierge de ces restaurations qui par endroit la défigure (Oh ! cette lourdeur des restaurateurs qui veulent trop expliquer et ne consentent pas que les chevaux soient bleus !). Il ne faut qu'un très petit effort pour la voir ainsi, rutilante dans toute la joie de Moyen-Âge à sa naissance.