Autobiographie

Les vivants et la vie...

 

Les dalles qui couvrent les morts sont un refus. De ceux que nous avons aimé, elles ne nous livrent rien. Nous avions gardé l'image d'un sourire. L'inflexion basse d'une voix, un soir de confidence, vibre encore. Mais ici, devant ces tombes, nous ne la voyons plus, nous ne l'entendons plus. Alors, qui vous emmène dans les cimetières, foules de la Toussaint, avec l'éphémère libation d'un bouquet de fleurs ? Qui vous presse ici, dans l'odeur pourrissante des chrysanthèmes et des feuilles mortes ? Est-ce seulement l'ancestrale piété, ou peut-être un sentiment plus subtil ? À tous ces défunts anonymes qui se refusent, ne voulez-vous pas demander qu'ils élucident un mystère ?

O foules qui ne vivez pas, ne venez-vous pas demander aux morts les secret de cette vie que vous côtoyez ? Ils la connaissent peut-être enfin, les morts. L'innombrable effusion des fleurs, la sourde germination des graines, le flux et le reflux de la mer, et soudain, dans le cœur, cet appel, cette volonté de briser la gangue et d'atteindre à la plénitude, tout cela n'est trop souvent pour ceux qui se croient vivants qu'un décor ou le cri d'une incompréhensible musique. Ils n'y participent pas. Les fleurs frôlent leurs yeux et leurs mains, la vague s'élève et retombe, la vie s'offre... mais ils n'osent pas la suivre.

Parfois pourtant. C'était un de ces soirs incolores de septembre. Il s'est fait, entre le cœur apaisé, oublieux pour la première fois de l'instant, et la nature à l'extrême de sa maturité, un accord. Le Temps, qui nous dérobe la vie, s'est comme résorbé. Et elle est en nous, tout autour de nous, nous l'étreignons, nous la communions. Le corps ne nous est plus une infranchissable barrière, mais un merveilleux instrument de perception et d'échange. Poreux, il n'obstrue plus notre âme, qui librement en déborde et s'identifie à la vie de partout ambiante...

Une branche qui casse, l'aboiement d'un chien... C'est fini. L'enchantement s'est dissout, s'est défait comme les éphémères châteaux des nuages. Et nous nous retrouvons à côté de la vie, enfermé dans le réseau de nos habitudes mesquines jusqu'à ce jour où enfin, le corps soudain muet et inerte et le quotidien dépassé, et nous la retrouvons, la vie, dans l'aube toujours croissante de la mort.