Autobiographie

Mon enfance !

Je n'ai presque rien que je ne lui doive. Vois-tu, je suis toujours l'enfant un peu triste qui, les soirs de printemps, aspirait à en perdre haleine l'odeur du lilas. Et chaque printemps l'odeur du lilas me restitue cet enfant triste. Que serait-elle pour moi sans le souvenir de mon enfance ? Serais-je capable encore de m'émouvoir jusqu'aux larmes pour un parfum dans la nuit ?

Clair de lune de mon enfance avec les longues prairies bleues. On entendait sur deux notes chanter les reinettes et dans le fond de la nuit le lointain barrage. Un peu de brume étincelait vers l'horizon...

Je ne puis te dire mon enfance. Trop lourde est la gerbe des images pour que simplement je la dénonce devant toi. Hélas ! Je n'appartiens plus à ce monde des enfants. Le paradis s'est fermé devant moi et l'ange en garde jalousement la porte. Ne pourrais-je jamais l'ouvrir ?

Pour entrebâiller le battant, il est une chanson. Ma mère me la chantait pour m'endormir quand j'étais malade :

Il était un petit navire,

Il était un tout petit gars.

Elle était triste cette chanson. Le petit gars s'en allait au pays des rêves, sur son bateau – un morceau de hêtre – et le petit gars chavirait.

Du petit gars ne faut pas rire,

Ami nous mourrons de ton mal,

Chaque jour un de nous chavire,

En courant après l'idéal.

Parvenu à cette strophe j'étais pris de sanglots. Et si ma mère étonnée voulait me chanter une autre chanson, par exemple :

Là-bas dans l'armoire,

Y a une belle poule noire...

Je la suppliais de cesser et de chanter encore le petit navire.

« Qu'est-ce que l'idéal, « maman », lui demandais-je. Je ne sais plus bien la définition que ma mère me donnait. Mais je sais que si je suis poète aujourd'hui je le dois à cette chanson.

Excuse-moi. J'ai trop parlé de moi ce soir. Ce n'était pas mon dessein. Vois-tu, malgré soi, on cherche à tirer du tombeau un peu de ce jeune homme mort à vingt ans  que l'on fut. Je vieillis...et puis je voulais te dire de ne pas oublier ton enfance, de t'y confronter. En es-tu digne encore. Es-tu vraiment le frère de cet enfant si pur ou que tout le monde aimait. Il est une pierre qui tient si l'air est souillé. Que ton enfance soit pour toi cette pierre.