Le Maroc traverse une double crise

8/12/1964

 

Le Maroc traverse une double crise : crise politique larvée et crise financière plus apparente.

Dans ce pays, après la décolonisation, ne demeure qu'une seule « structure » politique : l'Islam, et sa traduction institutionnelle : la Monarchie. Mais l'attitude du Roi, gêné par une double opposition, n'a plus la même fermeté. Impressionnée par cette double opposition, elle se fait discontinue. Hassan II procède par à-coups. D'où une perte de confiance de tous les milieux économiques qu'inquiètent la maroquinisation de la justice et l'ébranlement du principe même de la propriété privée par la reprise des terres.

Cette confiance est ébranlée en outre par des faits proprement financiers :

1°/ le train de vie trop élevé de l’État dont les dépenses sont souvent inconsidérées

2°/ la fin de certains avantages du Protectorat qui avaient survécu à celui-ci : dépenses dites de souveraineté, bases militaires. En même temps, l'aide technique s'amenuise.

Cette perte de confiance a provoqué une fuite devant l'argent marocain et des rentrées normales de devises (travailleurs marocains en Europe, tourisme) n'ont pas eu lieu. Cette défiance a été accrue encore par les prétendus remèdes à l'hémorragie de devises. On se sent pris dans un processus très inquiétant. Les restrictions des importations, surtout si les autorisations d'entrée sont délivrées au « coup par coup », porteront le plus grave préjudice non seulement aux exportations de France mais aux maisons de commerce françaises encore survivantes. En une étape suivante, une sorte de logique amènera, comme en Tunisie, vers le monopole du commerce extérieur puis vers le monopole du commerce intérieur. A ce moment, la liberté des entreprises industrielles, même si elles ne sont pas spoliées, deviendra un mythe.

Quelles issues cette situation comporte-t-elle ? Sur le plan politique, on peut penser qu'une Union Nationale, si elle était possible, éviterait de pernicieuses surenchères démagogiques. D'autre part, toute prévision est impossible, car l'attitude finale de l'armée reste une inconnue. Sur le plan financier, le Maroc ne sortira de ses difficultés que par un renversement complet de sa politique économique. Il pourrait retrouver sa prospérité en pratiquant une politique économique aussi libérale que possible qui y attirerait les capitaux de tous pays. Pour lui permettre une telle politique et à condition qu'il la pratique, la France devrait lui accorder de larges crédits. Par contre, sans ce renversement de la politique économique, notre aide financière apparaît un peu de l'argent à la mer. Un retour au libéralisme aurait un effet d'autant plus sûr et rapide que la situation économique de fond est meilleure que la situation financière.