Un point pour la femme africaine

La Croix 23/10/1964

 

Condition de la femme en Afrique, si souvent tragique. J'évoque un souvenir tout récent. J'étais en Côte d'Ivoire, dans un village baoulé. Un notable venait de mourir, et, selon la tradition, sa jeune épouse fut considérée comme automatiquement comme responsable de sa mort. Aussi, dès le décès, la belle famille la mit à nu, la battit jusqu'à l'évanouissement, la tortura, puis la séquestra. Par respect du lecteur, j'abrège et atténue le récit des tourments qui lui furent infligés.

Or, dans cette même Côte d'Ivoire, un code civil vient d'être voté, de caractère moderne, qui ne peut que contribuer à l'évolution du sort de la femme. En premier lieu, il interdit la  polygamie. Certes, la facilité du divorce, la possibilité de reconnaître les enfants adultérins donnent à cette interdiction un caractère plus théorique qu'effectif.  Ne nous voilons pas la face pourtant, car ce serait pharisaïsme. S'il est affreux de voir un pays qui fut chrétien régresser vers le divorce, nous devons nous rappeler que l'évolution des mœurs est lente et qu'on ne la décrète pas. Des interdictions plus rigoureuses auraient peut-être moins d'effet. Regrettons, mais ne blâmons pas, car tel que, avec ses défauts et même ses vices, ce code amorce une évolution.

Sur un autre point, il peut revêtir une importance encore plus décisive : la dot. C'est un des points où la rencontre du monde moderne a imprimé la pire déformation à la coutume africaine. Celle-ci voulait que, pour compenser la perte que le mariage d'une jeune fille représentait pour son clan, un cadeau fût offert, tel qu'une chèvre ou quelques menus objets, un peu comme dans certaines de nos provinces on remet encore quelques pièces d'argent après l'échange des consentements. L'introduction de l'économie monétaire a perturbé cette coutume : l'échange symbolique s'est fait trafic et le mariage une vente de l'épousée. Les conséquences sociales en furent incalculables : monopolisation des femmes par des vieillards riches, impossibilité du mariage pour les hommes jeunes, endettement, surenchères abominables et finalement prostitution. J'en pourrais citer de nombreux exemples. Sur les débris de la société traditionnelle une société s'est créée, où la femme est réduite au rôle de marchandise et où l'homme jeune se trouve non pas frustré sur le plan sexuel (la vie quotidienne offrant des facilités) mais dans une aspiration à la descendance fondamentale à l'âme africaine. La pratique de la dot a comme amputé l'âme des jeunes hommes en Afrique.

Saluons donc l'effort accompli par la Côte d'Ivoire ; même si la marquent encore quelques concessions regrettables, ce code civil représente, de la part d'un État traditionaliste et qui maintient les institutions tribales,  un effort pour faire évoluer la coutume par l'intérieur. Saluons d'autant plus cet effort qu'il peut aider à la multiplication de vrais foyers. Or, je le dis à tous les clercs, qu'ils soient missionnaires ou prêtres africains, leur apostolat et leur ministère n'auront de sens et de fruits que par ces foyers. Eux seuls peuvent compenser la liberté atroce des mœurs dans les faubourgs et leur dégradation dans les campagnes. Je puis témoigner de l'effet attractif de chacun des vrais foyers  existants (hélas trop rares !), si vif et profond demeure en Afrique un sens familial aujourd'hui désorienté. Dans un continent effectivement frustré, ces foyers sont comme une oasis d'équilibre dont la paix gagne tout l'alentour. Encore faut-il que les institutions aident à leur naissance : un pas est franchi en ce sens.