L'industrialisation textile de l'Afrique

14/4/1964

 

L'industrialisation textile de l’Afrique avait déjà pris un bon départ avant l'indépendance. Une affaire comme les Établissements Gonfreville à Bouaké, en Côte d'Ivoire, est la doyenne de ces entreprises. Elle doit avoir déjà plus de trente ans. Puis Dakar avait vu se monter ICOTAF, la SOTIBA, SIMPAFRIC, la Manufacture de Rufisque,  la Manufacture du Cap Vert, tandis que, voici exactement dix ans, à Bouali, dans l'actuelle République Centrafricaine, se montait l'ICOT. A côté de ces réussites, deux expériences allaient s'avérer malheureuses, l'une au Cameroun, l'autre à Brazzaville. Ces réussites, comme d'ailleurs ces échecs, allaient permettre de dégager des règles, de constater les bonnes méthodes à suivre. On ne doit surtout pas l'oublier, au moment d'énumérer les projets qui, dans les deux prochaines années, vont transformer la physionomie textile de l'Afrique francophone.

Nous n'énumérerons que les projets sérieux. Il n'y pas de semaine qu'un commis voyageur en matériel textile, se déplaçant d'autant plus fastueusement qu'il propose un matériel plus vétuste, ne vienne proposer à un gouvernement une merveilleuse affaire, mais qui, à l'étude, s'avère sans aucune rentabilité possible. Les premières pierres ont même été posées, qui n'ont pas été suivies de secondes, les dirigeants économiques de l'Afrique ou bien ayant été avertis à temps, ou bien par simple bon sens, ayant arrêté d'eux-mêmes la poursuite d'une entreprise qu'ils auraient dû, par la suite, soutenir à force de subventions.

Parlons d'abord d'une extension qui verra le jour sous peu, celle de la doyenne des entreprises textiles d'Afrique, les Établissements Gonfreville. Ceux-ci vont procéder à une importante extension, dans les prochains mois, qui portera sur une cinquantaine de métiers. Un second projet est paraît-il à l'étude, qui jumellerait à l'entreprise existante un tissage de 150 ou 200 métiers.

En Côte d'Ivoire également, ICODI, entreprise d'impression sur tissus, doit imprimer un million de mètres dès cette année. Elle passera rapidement à une production annuelle de trois millions de mètres.

En Haute-Volta, un projet est à l'étude, il s'agirait d'une filature importante, de l'ordre de 700 métiers, et d'un tissage d'une centaine de métiers. La filature est relativement plus importante que le tissage, afin d'alimenter le tissage artisanal.

Les projets précités sont réalisés par des groupes principalement, sinon exclusivement, français. Au Tchad, c'est un groupe franco-allemand qui se prépare à investir en vue de créer une filature d'environ cinq mille broches et un tissage de deux cents métiers. Le Cameroun est destiné à bénéficier d'ici peu d'une industrie complète. Des groupes divers sont intervenus, originaires de plusieurs pays. Rien pour le moment n'est conclu, mais un groupe franco-allemand paraît devoir l'emporter avec une filature de l'ordre de dix mille broches et un tissage de l'ordre de 500 métiers. Enfin, au Niger, des projets tunisiens ont été étudiés. Ils ne paraissent pas très solides et ils surprennent d'autant plus que le gouvernement tunisien a fait appel, lui, à des industriels français pour mettre en place l'industrie textile qu'il est en train de constituer. Un projet italien est également à l'étude, de même qu'un projet français. Mais si la réalisation d'un quelconque de ces projets est probable, on n'en est encore qu'aux phases préliminaires et aucun ordre de grandeur de la firme future ne peut être avancé.

Au Mali, pendant très longtemps, le gouvernement a été en pourparlers avec la Tchécoslovaquie. Il a dû abandonner ce projet, qui présentait des défauts techniques, notamment en ce qui concerne des travaux de Génie Civil préparatoires, et dont les conditions de financement paraissaient onéreuses. Actuellement le gouvernement Malien est  en pourparlers avec la France, pour une usine qui serait de l'ordre de 7 ou 8 000 broches. Mais on en est encore à la phase des pourparlers.

Au Sénégal, un projet est à l'étude et intéresserait un groupe principalement français. Il s'agirait de créer une manutention, c'est-à-dire une usine pour le finissage des tissus. Le gouvernement sénégalais, pour des raisons sociales et pour des raisons d'économie générale du pays la souhaiterait à Saint-Louis, mais cette situation pose de graves problèmes techniques. La production envisagée serait de l'ordre de six millions de mètres.

Des projets, allemands au Togo, anglais au Dahomey, tous deux considérables dans des  États étroitement voisins, puisque chacun aurait porté sur quelque 10 000 broches et 300 métiers, ont été abandonnés. Nous n'avons pas l'impression qu'ils aient reposé sur des bases sérieuses. Par contre l'idée progresse de l'entente entre le Togo et le Dahomey pour une usine commune. Il est certain qu'un projet unique aurait beaucoup plus de chances de tenter des investisseurs de qualité.

Mentionnons aussi un projet israélien au Congo de Brazzaville. Mais ce pays, qui constitue un petit débouché, étant également éloigné des régions productrices de matière première, la création d'une entreprise suppose l'introduction préalable de la culture du coton dans la Vallée du Niari. Or, d'après les techniciens, cette culture y serait plus onéreuse qu'ailleurs. On est donc généralement sceptique sur la réalisation d'un projet dont nous ne connaissons pas l'ampleur.

Quand les plus solides de ces projets seront menés à une bonne fin, c'est-à-dire probablement d'ici un an ou deux, la production industrielle textile sera considérablement augmentée. Elle est actuellement d'environ 7 000 tonnes par an, avec une impression portant sur six à sept millions de mètres (nous ne garantissons pas ce chiffre difficile à contrôler). Si les projets vraiment sérieux aboutissaient, ces chiffres passeraient à 13 000 tonnes pour la filature, et à une dizaine de millions de mètres pour la manutention. C'est dire le rythme qu'est en passe de prendre l'industrialisation textile de l'Afrique francophone.