Conférence à la fédération des teintures et apprêts

VI – Nouvelles difficultés à vaincre

Ici venu nous pourrions, ayant évoqué l'avenir du débouché que constituent les pays d'Outre Mer de la zone franc, tirer une conclusion relativement optimiste : tout est menacé, mais rien n'est perdu. Il me reste pourtant à vous décrire quelques nuages qui se lèvent à l'horizon. Les résultats acquis, le progrès même que nous avons constaté peuvent être remis en cause. L'Afrique est encore plus instable, la politique dans ce continent soumis à beaucoup d'incertitude, les meilleurs accords peuvent être dénoncés ou, plus probablement, rendus nuls par des engagements contradictoires. Ce risque là nous ne l'écarterons jamais complètement. Malheureusement, il n'est pas le seul ou plutôt certains événements extérieurs peuvent en provoquer la réalisation.

Nouvelle Convention d'Association avec la CEE

Je citerai d'abord, et fort brièvement, car j'ai déjà dépassé le temps qui m'était imparti, le problème soulevé par le renouvellement de la Convention entre la CEE et les pays d'Outre Mer associés. Cette convention doit être renouvelée avant la fin de 1961. Malheureusement deux États européens sont sinon hostiles ouvertement à son renouvellement, du moins pleins de réticences et de faux-fuyants : j'ai cité l'Allemagne et les Pays Bas. Ces États craignent, à favoriser des importations africaines, de perturber leurs courants commerciaux traditionnels avec d'autres continents. Ils prétendent injuste d'établir une discrimination – qui n'est pourtant qu'une spécialisation de l'aide – entre les différents pays sous-développés. Aussi se refusent-ils à assurer aux États d'Afrique des avantages tarifaires auxquels ceux-ci peuvent prétendre. Ils sont au moins réservés à l'idée d'une stabilisation du cours des produits tropicaux, stabilisation pourtant nécessaire. La valeur de leurs arguments, nous n'avons pas à en juger ici. Mais ce que nous devons dire c'est  qu'à ne pas répondre à la demande des Africains, ils prennent un terrible risque. Ceux-ci, frustrés à leurs propres yeux, risqueraient s'ils n'obtiennent satisfaction de se livrer aux pires aventures et de rechercher une aide de l’Est qui se traduirait par l'invasion de ses produits. La partie va se jouer dans les quelques mois à venir. De son issue, dépend tout l'avenir du débouché.

Entrée de la Grande-Bretagne au Marché Commun ?

Je citerai ensuite l'entrée éventuelle de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun. Le rapprochement entre la Grande-Bretagne et les six est en soi une bonne chose. Il ne peut que contribuer à une paix économique que nous appelons de tous nos vœux. Mais si nous ne voulons pas que cette entrée de l'Angleterre au Marché Commun aboutisse à des catastrophes, nous devons exercer la vigilance la plus déterminée. L'Angleterre n'est, en effet que la principale étoile d'une constellation, constellation qui comprend certains pays à bas salaires parmi les plus redoutables : Hong-Kong, l'Union Indienne, le Pakistan. Si l'entrée de l'Angleterre signifie l'entrée de tout le Commonwealth, n'allons-nous pas être envahis par les articles de ces pays ? Et même si l'Angleterre entre seule, ne sera-t-elle pas leur plateforme de redistribution vers le Marché Commun et ses associés ? Ce sont des dangers contre lesquels nous devons nous prémunir si nous ne voulons pas qu'un événement en soi souhaitable ne dégénère en catastrophe.

Et le GATT ?

Reste enfin le problème posé par l'entrée éventuelle des États africains au GATT. S'ils y adhèrent, et ils l'éviteront difficilement, ne seront-ils pas étouffés dans cet étrange club afro-asiatique à direction anglo-saxonne qu'est le GATT ? Certes s'ils y entrent massivement, ils peuvent modifier les majorités dans un organisme dont les décisions sont prises aux deux-tiers des voix. Néanmoins pour eux, comme pour nous, le risque demeure très grand.

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Nuages sur l'horizon vous disais-je. Ils ne m'empêcheront pas de répéter que si tout demeure menacé, rien n'est perdu. Messieurs, j'ai foi d'abord dans une vitalité que vous avez si vaillamment démontrée, je tire espoir aussi du tout récent passé : pour la défense du débouché d'Outre mer, les plus difficiles obstacles sont peut-être déjà franchis. Qui, voici deux ans, osait espérer que les jeunes indépendances africaines montreraient cette maturité de pensée économique. La novation politique aurait pu briser tous les courants commerciaux. Qu'il n'en ait rien été nous autorise à augurer favorablement de l'avenir. Il faut que ce débouché demeure. La symbiose économique est pour l'avenir des rapports  entre la France et l'Afrique, un élément beaucoup plus solide que les constructions juridico-politiques dont les deux dernières années nous ont appris la précarité. Elle est pour les États africains la meilleure garantie de stabilité, donc de prospérité et de mieux-être. Elle est enfin, le pain quotidien de beaucoup de vos ouvriers. Je sais que certains trouveront qu'ayant abordé les plus grands problèmes je l'ai fait sous l'angle le plus étroitement économique, et ils insinueront peut-être que je suis sordide. Messieurs, le pain quotidien n'est jamais sordide, et en tous cas pas celui des autres. Je crois au contraire que le langage des réalités économiques vaut mieux que celui des passions. Je ne voudrais pas paraître poseur en citant Saint-Augustin : « Pax omnium rerum tranquillitas ordinis ». Par nos professions, par le réalisme économique, nous introduisons dans le monde un ordre. Par l'exercice conscient et éclairé de votre profession, Messieurs, beaucoup plus que d'autres vous contribuez à la paix.