De Libreville à Fort Lamy, à l'écoute des Africains

Gabon, en vieille Afrique

Libreville : juste sous l'équateur une ville engloutie par les palmes. On la prendrait pour une station balnéaire. On est très loin des Dakar, des Léopoldville, des Abidjan : ici c'est encore la vieille Afrique, pas de buildings. Très peu de choses ont changé : une Afrique des Petits Poèmes en Prose avec cocotiers sur la mer et frangipaniers.

La vie est à la mesure de cet oasis. Tout est calme, dans cette Afrique isolée de l'Afrique. Le Gabon n'est ouvert que sur la mer : il tourne le dos à son continent. On a souri à Paris quand il prétendait devenir un Département français. Pourquoi pas, pourtant ? Spirituellement on est plus près de nos provinces que de Brazzaville, avec aucun échange économique vers les États voisins. Entre l'Océan et les impénétrables forêts, le Gabon est une île, et avec ses nombreux métis, son élite africaine très policée, quelque chose de créole dans l'atmosphère, ce pays est autant d'Europe que d'Afrique. Il est de partout et de nulle part. Il est le Gabon.

Sa politique a eu ses heures d'agitation, quand s'opposaient les partisans du Président Léon M'Ba et ceux de l'ancien député Jacques Aubannes. La sagesse a prévalu. Ces deux hommes politiques qui sont aussi des hommes d'État, ont su se réconcilier en un compromis qui fait honneur à leur double sagesse. La France y gagne. De même race, en appelant aux mêmes principes, affichant des programmes presque identiques, ces hommes, aussi francophiles et même français l'un que l'autre,  n'avaient trouvé pour s'opposer que de mettre en cause la France, les rapports avec notre pays, étant l'occasion de leur surenchère. Désormais réunis, sans opposition qui compte, rien n'entrave plus une collaboration qu'ils ont au fond toujours souhaitée.

Leur compromis est en apparence très européen. Jacques Aubannes a consenti à la prépondérance présidentielle de Léon M'Ba. Le Président M'Ba a donné autant de portefeuilles ministériels à Jacques Aubannes qu'à son parti, dont le Département des Affaires étrangères qui en Afrique est toujours des plus convoités. Pourtant cette réconciliation a quelque chose de très africain. Son motif principal ne fut-il pas l'identité de race entre les deux leaders. Tous deux sont des Fang, et ils ont craint que leur querelle ne provoque l'avènement d'une autre ethnie. Les vieilles sociologies ne sont jamais absentes de la politique africaine la plus actuelle.

Une ombre pourtant, dans ce tableau à l'éclat flatteur : l'attitude des européens. Je serai peut-être sévère en disant qu'ils évoquent les Belges de Léopoldville voici deux ans. Frustes, brutaux même, qu'ont-ils compris à l'évolution africaine ? Ont-ils compris qu'ils ne se maintiendraient qu'en s’effaçant ? Savent-ils que le temps de certains roitelets de l'économie est passé ? Entendent-ils l'appel sourd mais irrésistible, même dans ce pays presque vide, des masses africaines ?