De Libreville à Fort Lamy, à l'écoute des Africains

10/4/1961

 

évoquant l'Afrique, la plupart des Français arborent un visage sceptique. On leur a parlé de l'empire, de l'Union Française, d'une Communauté qui trois fois en deux ans a changé de forme et dont les institutions n'apparaissent guère, épiphénomènes de la Constitution, que d'inutiles organes témoins. Il savent seulement qu'à une quinzaine de Républiques nous versons d'importantes subsides. Facilement ils verraient dans ces subsides un caprice du Chef de l’État, un prétexte à visites somptuaires et onéreuses de quelques souverains colorés. Bien entendu, ils ignorent les contreparties que la France trouve à ces subsides : avantages tarifaires et contingentaires qui assurent le pain quotidien à nombre de ses ouvriers, et sans lesquels reviendrait aux Japonais ou aux Chinois, voire aux Tchèques, l'image d’Épinal que chaque Français se fait de l'Afrique s'enlumine de couleurs vives et inquiétantes : il y projette en bavures les événements du Congo précédemment Belge. Pour lui tout ce Continent n'est plus que le théâtre où se joue le plus sinistre des opéras-bouffes. Ah ! On ne la lui fera plus, avec ces sauvages.

Les voyages qu'à longueur d'année j’accomplis à travers l'Afrique, s'inscrivent en faux contre ces clichés. Je rentre de parcourir d'un bout à l'autre l'ex-AEF. J'ai longé pendant des kilomètres le Congo Belge à l'avenir angoissant. C'est un grand malheur que l'ONU, congénitalement gâteuse, ait été appelée à régler un conflit qu'elle n'a fait que compliquer : les Africains d'expression française auraient, eux, su sans doute apaiser ces sanglantes rivalités de clochers. Car c'est un fait, que dans les terres qui furent d'obédience française, règne la paix. Bien des fragilités demeurent, beaucoup d'incertitudes sans doute, le pays est calme pourtant. L'ordre y règne, qui ne correspond pas à toutes nos conceptions, mais qui est un ordre. L'Empire français est passé, l'Union Française est défunte, la Communauté n'est plus qu'un mot, mais au bout de ces expériences avortées une œuvre qui est française demeure. Une Afrique qui nous maudit parfois du bout des lèvres et par snobisme, mais que nous attache un lien d'amour très profond, est aujourd'hui capable de se gouverner elle-même.