L'Afrique se préservera-t-elle de l'Asie

Comment aider l'Afrique à s'aider ?

Mais elle ne le fera pas sans l'Europe, et nous retrouvons les problèmes de fond posés par le renouvellement de la Convention d'Association entre la CEE et les Pays d'Outre-Mer dont nous avons déjà traité ici. Mais elle ne le fera pas sans la France. L'aide que la France apporte à l'Afrique francophone et à Madagascar est considérable. Pourtant, nous comptons encore plus sur la symbiose économique qui s'est établie, chacun offrant à l'autre un débouché privilégié. À une condition : que ces préférences soient « consolidées » et stabilisées. En France, on commet, à mon sens, une grave erreur d'orientation. Cette aide est considérable, mais on la fragmente année par année, quand ce n'est pas semestre par semestre. Ainsi s'instaure un climat pénible de perpétuelles négociations, pour ne pas dire de marchandages. D'autre part on a l'irritante manie du contrôle, aussi ne paraît-on ne jamais donner « pour de vrai ». En fait, on n'a pas su se dégager suffisamment du paternalisme impérial. On n'a pas repensé suffisamment les structures de l'aide en fonction du cadre nouveau que représentent les rapports entre États totalement indépendants. Les Départements chargés, sous des aspects différents, de diffuser l'aide française, ne nous en paraissent pas responsables, mais plutôt les traditions de nos administrations financières incapables de s'adapter à des problèmes entièrement neufs (s'y adaptent-elles même en France, où, bien souvent, le contrôle tourne à le manie?). Entre  États indépendants, mieux vaudrait jouer plus direct ; en premier lieu « globaliser » l'aide que nous apportons et la chiffrer. À la dispenser sous des titres divers, nous finissons par la dissimuler. Nul ne sait plus très bien, ni en Afrique ni en France, ce que représente l'addition du FAC, des subventions d'équilibre budgétaire, des primes à la production, des surprix et des préférences douanières et contingentaires. L'aide nettement déterminée, la consolider sur une période relativement longue – cinq ans par exemple – et à la notion de contrôle substituer celle de contreparties. À toutes les assistances que nous leur dispensons l'Afrique et Madagascar apportent une contrepartie solide, sous forme de préférences contingentaires et tarifaires qui facilitent la vie de nos industries et assurent leur pain quotidien à nombre de nos ouvriers. Mais, parallèlement aux incertitudes de l'aide française cette contrepartie est constamment soit menacée, soit remise en cause. Ni du côté de l'Afrique, ni du côté de la France, on n'ose établir des prévisions à long terme. Toutes les économies s'en ressentent. Dès lors, et on semble heureusement, au moment où nous écrivons, s'y engager avec l'Entente, pourquoi ne pas conclure des contrats à long terme, donnant donnant ? Pourquoi ne pas établir une consolidation mutuelle des aides et des préférences ? Ce serait plus réellement efficace que tous les contrôles.

Cette réforme dans nos méthodes, en vue d'affermir la symbiose entre la France et l'Afrique francophone, suppose évidemment d'autres changements. La zone franc se ressent, elle aussi, d'avoir été pensée au temps de l'unique souveraineté française. On ne l'a modifiée que bribe par bribe, comme on coud des pièces à un vieux manteau. Ce vêtement d'Arlequin craque. On se scandalise, à juste titre, que la France accorde à ces pays, qu'elle encourage ainsi à de dangereuses politiques de facilité, trop de subventions d'équilibre budgétaire au détriment d'une véritable assistance économique. Dans l'état actuel des structures de la zone franc en peut-il être autrement ? Les  États africains demandent des avances de trésorerie, bien difficile à refuser, qui en fin d'année ne peuvent guère se solder que par une subvention d'équilibre budgétaire. Le tout échappe aussi bien au contrôle qu'aux contreparties. C'est dire que de nouvelles structures s'imposent.

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L'Afrique échappera-t-elle à l'insidieuse menace asiatique ? Nous l'avons vu, cela dépend d'elle, dépend de l'Europe, dépend de la France. Ce continent francophone sera-t-il lui-même ?

Affrontera-t-il un nouveau destin ? Le dégagera-t-il de la tourbe des pays sous-développés ? Il a les atouts en main pour y parvenir, de sa part, c'est une question de courage, de la part de la CEE une question de persévérance dans ses engagements, de la part de la France, pour s'adapter à une situation neuve, une question d'imagination créatrice.