L'Afrique se préservera-t-elle de l'Asie

L'insidieuse tentation asiatique

Russes et Américains mènent grand bruit. Les asiatiques sont plus discrets, peut-être parce que leurs ambitions sont plus précises. De-ci, de-là, ils font miroiter l'espoir d'impossibles investissements, mais avec ténacité ils cherchent surtout à prendre des positions commerciales : en attendant mieux, sans doute. Or de tous les périls qui menacent les jeunes indépendances africaines, l'Asie représente le principal. Nous ne parlons pas tant des missions plus ou moins officielles, telle une mission de Hong Kong qu'au cours d'un voyage nous avons rencontrée d'étape en étape. Elle parlait de créer des usines, mais en important de la main-d’œuvre chinoise. Les Africains ne s'y sont pas laissés prendre. Nous ne parlons même pas des missions commerciales japonaises en septembre puis en décembre 1960. Les Asiatiques, encore une fois toujours discrets, comptent surtout sur l'attrait de leurs produits dont des salaires de famine permettent les bas prix.

Pour les Africains, la tentation est forte. Le niveau de vie de leur population est bas, et le souci de le relever anime tous les gouvernements. Malheureusement, si des importations à bas prix peuvent dégrader les prix au stade industriel, et nous allons y revenir, les populations n'en bénéficieront que peu ou prou. Rendues sur les marchés après toute une série d'intermédiaires et de revendeurs, dont les bénéfices croîtront d'autant, elles s'aligneront sur les prix européens. Mais nous l'avons dit, au stade industriel les marchés se dégraderont. Autant dire que si ces importations se multiplient, l'Afrique verra péricliter ses industries que leur nouveauté rend fragile et les investisseurs seront découragés. Les répercussions peuvent être encore plus profondes. Sans la contrepartie que représentent des débouchés privilégiés, français ou européens, dont contre le cartiérisme ambiant les sentiments ont besoin d'être stimulés, se décourageront d'aider l'Afrique. À la limite, celle-ci se condamnera au rôle de fournisseur de matières premières agricoles toujours difficiles à placer, tandis qu'elle importera toujours les produits manufacturés. Un pacte colonial obscur et sournois sera souscrit, dont cette fois-ci l'Asie sera « la » bénéficiaire.

Ce risque, heureusement, les Africains d'expression française – nous n'en dirions pas autant du Ghana – l'ont spontanément aperçu. Ils ont d'instinct réagi, établissant des plafonds aux importations asiatiques. L'Afrique d'expression française comme Madagascar ont prouvé que leur maturité n'était pas seulement politique, mais économique.