Où va le nouveau Maroc !

La vraie « interdépendance »

Mais au-delà des textes, l'influence française demeure. L'interdépendance n'a pas été inscrite dans les traités : elle se réalise tous les jours. N'est-ce point mieux ainsi, car le meilleur traité peut être tourné dans l'application. Que de faits nous pourrions citer, et d'abord que le Gouvernement marocain n'a remis à la disposition de la France qu'un nombre limité de fonctionnaires, 12 à 15%, dont la plupart étaient des agents de police. Les Conseillers français sont légion, tant auprès des Ministres qu'auprès des Gouverneurs de provinces. Le français reste principalement, sinon exclusivement, même dans les rapports entre autorités marocaines, la langue courante de travail. La garde personnelle du Roi est commandée exclusivement par des officiers français et on compte dans l'Armée Royale 160 officiers français, 200 sous-officiers, 200 soldats spécialistes. L'uniforme de Saint-Cyr, porté par les élèves officiers marocains, a été acclamé dans les rues de Casablanca. Le Maroc entretient plus de magistrats français qu'au temps du Protectorat. Trois sur quatre des Présidents de la Cour Suprême sont français. Les avocats français sont maintenus. Sept lycées sont ouverts, et 1 040 classes d'enseignement primaire...

Quant à New-York M. Pineau répond avec verdeur à l'offre de bons offices de Mohammed V, il doit mesurer qu'il peut compromettre cette entreprise française – Notre presse de droite est bien imprudente elle aussi... Constatons quand même comme un fait heureux, étant donné certains propos antérieurs, que dans son discours de Pleyel, M. André Morice ait déclaré que l'Indépendance du Maroc ne saurait être remise en cause.

Nos gouvernements et notre presse doivent d'autant plus veiller sur leurs réactions que le Marocain est susceptible. Sa sensibilité est extrême. Or force est de voir que des éléments étrangers – arabes, russes voire américains – travaillent contre nous. Ne parlons pas des russes. Leurs agents, là comme ailleurs, travaillent à la subversion pour la subversion. Ne parlons pas des arabes : si certains jeunes voient en Nasser leur idéal, l'Islam occidental n'a guère d'attrait pour cet orient. Quant aux américains ils ont pris trop de relève par le monde, pour avoir un très grand désir de prendre la nôtre. Leurs responsabilités déjà les submergent. Ne se montrent-ils pas aussi le peuple le plus parcimonieux à engager ses fonds dans les pays sous-développés ! Tant que l'amitié franco-marocaine les assurera que le Maroc ne s'éloigne pas de l'influence occidentale, leurs intrigues ne seront le fait que d'agents très subalternes et sans conséquence. Tout au plus placeront-ils une sorte de dispositif d'alerte. Mais si nous nous trouvions ne plus exercer sur le Maroc la même influence, leur action pour nous évincer serait aussi brutale qu'au Sud-Vietnam.

C'est donc à accentuer l'interdépendance dans les faits que doit tendre notre politique. Ce dynamisme vaudra mieux pour l'avenir français au Maroc que le statisme de n'importe quel traité. On s'irrite des revendications d'Allal el Fasci sur le Sahara. N'accordons d'abord pas une importance excessive à un leader en perte de vitesse. Mais surtout, ne trouverait-on pas, dans une association économique franco-maghrebine pour l'exploitation du Sahara l'occasion de nouvelles solidarités ? C'est dans cette voie qu'il faut chercher, s'obstinant à développer l'interdépendance dans les faits.

Il le faut d'autant plus que l'avenir politique du Maroc présente des incertitudes. Misons sur un réalisme berbère qui survivra aux vicissitudes de la politique.