Où va le nouveau Maroc !

Une extrême politisation

La seconde difficulté est connexe à la précédente. J'ai été surpris de l'extrême politisation de ce pays neuf. Sans doute est-ce la rançon de deux années de « résistance » ou pour beaucoup la seule raison de vivre a été politique. C'est la conséquence aussi d'une classe dirigeante trop étroite : heurts de personnes et oppositions politiques s'y confondent. L’ambiguïté de structures transitoires y concourt. Le Roi est à la fois souverain absolu et souverain parlementaire. Une Assemblée Consultative siège à Rabat, or toute assemblée consultative est par son irresponsabilité vouée aux intrigues ou aux démagogies. Nous l'avons bien vu dans la France de la Libération. Le Maroc est un pays « sous-développé » dont cinquante pour cent de la population a moins de vingt ans. Une jeunesse impatiente imprime son outrance à la politique. Elle freine les hommes en place bien qu'inapte à les reverser (le Maroc n'a guère d'équipe de remplacement).

Ce sont un peu là jeu de princes. La masse n'est guère mêlée à ces préoccupations. Non que des courants politiques, mais bien plus obscurs, ne la travaillent. Réunions de la misère dans les villes, que contient et en partie apaise pourtant une administration de premier ordre, surtout à Casablanca. Plus complexes encore, un certain frémissement politique dans les campagnes. Il coïncide avec la difficulté très grande à laquelle se heurte le Gouvernement pour les encadrer, quelle que soit la qualité de presque cinquante pour cent des nouveaux Caïds. Au Maroc comme ailleurs, bien que ce que le Protectorat avait maintenu de structures locales rende peut-être le problème moins aigu, le vernis colonial en craquant a libéré de très vieilles sociologies : hostilité ancestrale des campagnes contre les villes qu'illustrent les remparts successifs de Fez. Deux des mouvements politiques, avortés mais quand même significatifs, du nouveau Maroc ont été des mouvements berbères et ruraux. Un paysan disert m'a parlé d'un « protectorat fassi substitué au protectorat français ».