Sauver l'Afrique du communisme

Action civique et politique Numéro spécial Juillet 1958

Congrès national de Saint-Malo Mai 1958

Rapport présenté par G. Le Brun Keris

 

Mes Camarades, il en va de notre liberté.

Il en va de notre civilisation, de notre civilisation malgré tout chrétienne, notre civilisation qui a fait de nous, en ce que nous avons de plus noble, des hommes.

Il en va de la civilisation islamique si riche en valeurs spirituelles ; il en va d'elle en ce qu'elle a de meilleur et qui nous la rend fraternelle.

Il en va de l'âme religieuse de l'Afrique Noire, il en va de ce continent dont la première dimension humaine est d'abord une dimension métaphysique.

L'emprise communiste s'est accentuée

Oui, c'est tout cela qui est aujourd'hui menacé. Depuis un an, depuis notre congrès de Biarritz, bien des événements se sont déroulés. La guerre d'Algérie s'est poursuivie, avec des alternatives d'espoir et d'angoisse. L'Afrique Noire s'est troublée. Des grèves parfois violentes y ont pris le caractère d'une nouvelle endémie. Des crises politiques ont éclaté, au Cameroun, en Guinée, en Haute-Volta. Du Maroc, des rezzou ont agité la Mauritanie. Sur Madagascar plane le silence : c'est un silence d'inquiétude.

Mais au-dessus de ces événements domine un fait : l'emprise croissante du communisme, le poids plus lourd de l'influence soviétique. Certes, ce n'est pas toujours la source de nos difficultés, c'en est souvent le catalyseur, c'en est l'indéniable bénéficiaire. Si nous ne le voyons pas, nous ne saurons guérir de ces maux. Le premier devoir de la France, dans tous ces pays où elle exerce des responsabilités, est de les mettre en défense contre le mal qui les menace. Des mesures sont à prendre, des libertés à reconnaître, des institutions à créer. Ces pays que nous décolonisons, les préserverons-nous de la colonisation de remplacement qui les guette ? Et quelle colonisation, celle qui ne tue pas seulement les civilisations, mais l'homme. Telle sera la question posée par mon rapport. Tel sera notre critère pour apprécier les solutions qui s'offrent à nous.

Mais d'abord voyons, jusqu'en sa profondeur, quelle est cette menace soviétique.

À la mort de Staline, nous avons cru respirer. Les journaux affichaient le sourire de ses successeurs. Parcourant les Indes en un voyage de style Barnum, ils passaient à leur cou des colliers de fleurs. C'était l'idylle... jusqu'à un certain 26 septembre 1955, où nous avons appris que la Tchécoslovaquie fournissait des armes à l'Égypte, bientôt suivi d'un grand nombre d'interventions russes dans le Moyen-Orient et en Afrique. Le changement opéré en URSS révélait son véritable sens. Le règne de Staline avait signifié la révolution dans un seul pays. Il voulait d'abord forger au service de son idéal révolutionnaire, la puissance d'une grande nation. Il a fait, de l'amalgame animé de messianisme mais informe que lui avaient légué les Tsars, à la fois une nation et un État. S'il cueillait les conquêtes, fut-ce des mains débilitées de Roosevelt, l'expansion de son aire géographique n'était pas son but principal, encore qu'il la poursuivit en Extrême-Orient. D'abord, il bâtissait la Russie.

Forts de l'instrument ainsi forgé, ses successeurs sont revenus aux idées de Lénine, à l'expansion révolutionnaire. Ils nous l'ont même annoncé. Si nous savions lire, nous l'aurions vu noir sur blanc dans le rapport présenté par Krouchtchev au XXe Congrès du Parti Communiste d'URSS. Il est vrai qu'aujourd'hui encore, après tant d'événements et même après l'affaire de Hongrie, certains dont M. Nehru, s'obstinent à tirer un voile de libéralisme et de pacifisme devant le visage de l'URSS ! Or, s'offre à celle-ci pour son expansion, non pas des solides nations d'Occident dont le redressement allemand lui avait barré la route (elles sont, l'exemple hongrois le prouve, de difficiles conquêtes) mais le tiers monde de la misère et de la faim – cette moitié de l'humanité qui vit sur le cinquième des terres émergées avec le sixième du revenu mondial.

Monde fragile, non tant d'une misère si intense qu'elle le rend impropre à la révolte, mais d'être parfois un chaos politique, et toujours le chaos de civilisations en conflit. L'aire d'expansion normale et tentante, ce sont ces pays qu'avec pudeur nous qualifions de sous-développés, ce Calcutta qui, d'après Lénine, est le meilleur chemin vers Paris. Ce faisant, on isole l'Occident et on l'étouffe. Mais dans ce tiers monde s'inscrivent les peuples hier colonisés ; c'est même parce qu'ils appartenaient à ce tiers monde qu'ils avaient été colonisables. C'est dire que tout le continent de l'Asie et tout le continent de l'Afrique, sans parler de l'Amérique Latine, travaillée des mêmes courants, sont l'aire vers lequel les successeurs de Staline ont entendu poursuivre leur expansion, tournant ainsi le monde libre par ses arrières et le réduisant à l'asphyxie. Pourquoi insister : tout cela, une revue éditée à Moscou, Kommunist, l'a dit plus nettement que je ne saurais le faire. Et puis les événements sont là qui l'attestent, depuis les événements de Syrie jusqu'à la Conférence afro-asiatique du Caire où la Russie, qui avait été écartée de Bandoeng, a joué le grand rôle.

Une menace sur tout l'homme

Voilà par quoi nous sommes menacés, voilà par quoi est menacée toute notre Afrique, d'Alger jusqu'à Brazzaville et Tananarive. Mais il  importe aussi de savoir de quoi nous sommes menacés, elle et nous, nous par elle. Car elle ignore, comme d'ailleurs nous l'ignorons, ce qu'est le communisme. C'est parce que nous l'ignorons que notre classe ouvrière pourtant si éprise de valeurs spirituelles, si éprise de justice, si éprise de vérité, se laisse prendre à son mirage. Elle le croit un socialisme plus dur. Les pays d'Asie et d'Afrique le prennent, eux, comme une sorte de recette pour sortir de la misère économique. Au Caire, les délégués communistes, reprenant sur le mode majeur le thème que la propagande de l'URSS murmure depuis Djakarta jusqu'à Santiago-de-Chili, l'ont répété à l'envie : « Peuples sous-développés, la Russie est notre grande sœur. La Russie était un pays sous-développé. Elle est devenue riche. Agissez comme elle, adoptez son communisme. De misérables, vous deviendrez des nantis. » Or, le communisme, c'est tout autre chose qu'une recette économique : la rencontre d'une doctrine et d'un pays. On ne doit jamais oublier ni l'un ni l'autre, sous peine de ne rien comprendre. Une doctrine, ou plutôt une religion. Le marxisme est d'abord une anti-religion, qui tend à substituer à l'action créatrice de Dieu, l'action de l'homme qui par la tension dialectique parvient à créer un nouvel univers. Cette doctrine a rencontré un pays, elle a rencontré le vieux fond eschatologique de l'âme russe, pour qui le créé c'est le mal (qu'on relise aussi bien l'archiprêtre Avakhum que Dostoïevski ou Berdiaev) et qui rêve de refaire une nouvelle terre sur les ruines de la création. De même l'apologétique révolutionnaire a rencontré le vieil expansionnisme de cette Russie, qui faute de structure et de contours, tend toujours à se répandre. La création de satellite est un testament politique des tsars.

Et rien n'est vrai pour le communisme que ce qui concourt à cette action historique, comme rien n'est vrai que ce qui assure la puissance de ce véritable sacrement de la religion communiste : la Russie. Nous tous, chrétiens, musulmans, animistes, rationalistes, nous croyons à une vérité objective. Cela au moins nous est commun, et c'est cela qui nous retranche du communisme pour qui la vérité, au prix de quotidiennes contradictions, n'est que ce qui peut concourir à l'action créatrice de l'homme, un jour une chose, le lendemain son contraire. Voilà pourquoi nous sommes menacés jusqu'en l'intime de nous-mêmes, jusqu'en nos civilisations, jusqu'en nos fois, jusqu'en l'homme.