Sauver l'Afrique du communisme

Afrique Noire

Oui, et même notre Afrique Noire, même ce continent entre tous religieux est menacé.

Il l'est par une pénétration sourde. On ne prononce pas le mot de communisme. L'action subversive de l'URSS suit toujours trois phases. En une première, elle ne recherche que la subversion pour la subversion. Celle-ci ne lui suffit -elle pas pour affaiblir l'Occident et, comme nous le disions, le tourner par ses arrières ? En une seconde phase, elle essaie de procéder à une satellisation entraînée par le biais du « neutralisme positif ». La communisation qui peut se heurter à de graves résistances est reportée à plus tard. Dans l'immédiat, les deux premières phases suffisent.

La première phase est entamée, et non seulement au Cameroun où les difficultés politiques se sont multipliées cette année. Dans toute l'Afrique le communisme travaille trois milieux, les étudiants, les syndicalistes, et même le monde paysan, cette grande inconnue de l'Afrique, qu'il tente d'encadrer par le moyen de certaines coopératives. Je pourrais citer bien des faits à l'appui de cette affirmation. C'est pourquoi s'impose une mise en défense morale et institutionnelle de l'Afrique, même si, en dépit des événements, celle-ci demeure une réserve de calme.

Parfaire la Loi-Cadre

La mise en défense de l'Afrique, c'est d'abord la constitution de cette communauté franco-africaine qu'a demandé le Congrès de Bamako. D'une telle communauté, une pierre d'attente importante a déjà été placée par la Loi-Cadre, déposée par Pierre-Henri Teitgen et que M. Defferre a reprise. Déjà, grâce à cette loi, les cellules de base de la communauté franco-africaine commencent de se constituer. D'une communauté franco-africaine nous possédons les assises locales. Et ces assises sont bonnes. L'exercice de responsabilités concrètes, le soin de mettre en place des administrations, ont détourné presque toujours les hommes politiques du verbalisme et de l'agitation. Comme le constatait au mois de mars le président de la Confédération Africaine des Travailleurs Croyants, David Soumah, dans un rapport doctrinal : « Ce qui intéresse directement les autochtones est désormais géré par des élus africains ». Et il ajoutait : « La superstructure de l'organisation politique, économique et sociale du pays – du moins à l'intérieur des limites de chaque territoire – est administré par des Africains ».

Toutefois, au milieu d'un calme relatif mais apparent, le Congrès du RDA à Bamako a produit, en métropole, selon le vieux cliché , « l'effet d'un coup de tonnerre dans un ciel serein ». De nouvelles revendications se sont exprimées. Les termes en furent violents. Et tout de suite de dire, ici et là, que la Loi-Cadre, jugée bénéfique pourtant par des Africains aussi peu suspects que David Soumah, est dépassée. Je n'aime pas ce vocabulaire. Il sent les Minou Drouet de la politique, si ce n'en est les Marie-Chantal. Non, la Loi-Cadre n'est pas dépassée, et je n'accepterai jamais ce vocable pour un système institutionnel dont on peut encore tirer profit. Mais après un an d'exercice, après les crises ministérielles de Haute-Volta et du Dahomey, après le Congrès de Bamako et les réunions de partis africains au cours de l'hiver, il est évident que pour qu'elle soit vraiment la base de la communauté franco-africaine, il faut la parfaire.

Mais restons dans sa ligne. Au surplus, elle se situe dans un système progressif qui a, depuis dix ans, étape par étape, décolonisé l'Afrique. Je ne ferai que reprendre le rapport toujours actuel qu'André Colin vous présentait l'an dernier. En dépit d'une propagande très officielle, la Loi-Cadre n'est pas née toute seule, un beau jour. Elle doit l'essentiel de son efficacité d'avoir été préparée par les pouvoirs toujours plus larges dont depuis 1947 ont bénéficié les Assemblées locales ; par ce Code du Travail déposé par Coste-Floret, rapporté par Joseph Dumas, défendu par Pierre Pflimlin, ce Code du Travail dans lequel les Africains ont vu moins une défense des travailleurs que le signe d'une promotion politique ; par les municipalités qu'à créées Pierre-Henri Teitgen ; par la participation des Africains à toutes nos Assemblées constitutionnelles.

Ils y ont trouvé un champ d'expression à l'envergure de leurs hommes d'État. Je refuse, en effet, l'argument réactionnaire d'après lequel les constituants auraient « commencé la maison par le toit ». Croyez-vous que des Houphouet-Boigny ou des Senghor se seraient laissé confiner dans leur territoire et que si la métropole ne leur avait offert des responsabilités parlementaires ou ministérielles il n'auraient pas cherché ailleurs le terrain où donner leur mesure ?

La Loi-Cadre a été préparée aussi par les investissements grâce auxquels promotion politique et progrès économique se sont trouvés accordés. Je dédie cette considération à la méditation de M. Raymond Cartier, si tant est qu'il médite parfois.

Il faut parfaire la Loi-Cadre et dans sa logique même. Elle a institué une autonomie interne de gestion dont on doit tirer toutes les conséquences. En premier lieu, comme l'a demandé une proposition de notre Groupe de l'Assemblée de l'Union Française supprimons cette anomalie que le Conseil de Gouvernement soit présidé par le Gouverneur. Il faut qu'un Africain préside ce Conseil. Ainsi les territoires comprendront qu'ils sont vraiment les maîtres de leurs services territoriaux. Ils seront sauvés aussi de la tentation, à laquelle certains de leurs ministres ont succombé, de se réfugier derrière le gouverneur pour éviter les responsabilités, ou encore de s'en remettre à lui des tâches qui leur sont ardues. D'autre part, on ne compromettra plus l'État, en la personne de son représentant, dans les querelles internes des territoires.

Il faut compléter aussi la compétence des Conseils de Gouvernement pour qu'ils aient en main tous les moyens des tâches politiques qui désormais leur incombent.

Cela suppose aussi, il faut le reconnaître, un changement, non dans la rétribution, mais dans le train de vie des fonctionnaires européens. Ce train de vie présente toutes sortes de dangers, car il les a séparés de la masse africaine. Il a surtout contribué à engager certains Conseils de Gouvernement sur une mauvaise pente. Quand le Gouverneur roule en « Versailles », le ministre se croit obligé d'être au moins dans une « Chambord ». Je me sens assez africain pour dénoncer comme un scandale que dans certains territoires dont le niveau de vie est de 16 000 francs  PAR AN, les ministres se soient arrangés des traitements de 300 000 francs PAR MOIS. Dangereuses prébendes qui aiguisent les appétits déjà très violents des jeunes qui discréditent les institutions, qui démoralisent le pouvoir. Toujours le pouvoir doit être service et même servitude, encore plus dans un pays pauvre comme l'Afrique. Je précise que d'autres territoires, tel le Sénégal, ont au contraire donné l'exemple de l'austérité.

Si pour la constitution de la Communauté franco-africaine nous voulons parfaire la Loi-Cadre dans sa logique, toute une reconversion de notre administration Outre-Mer est également à opérer. Nous ne devons pas compromettre nos administrateurs dans les tâches qui désormais reviennent aux Africains. Le temps du Commandant de Cercle est fini. Ne soyons pas surpris que ceux qui subsistent se découragent dans une situation anachronique, à la fois responsables et sans pouvoirs. Mais, encore une fois, une reconversion administrative s'impose et je suis reconnaissant à Paul Coste-Floret de l'avoir tracée dans une proposition de loi que je voudrais voir sortir des oubliettes parlementaires. Cette proposition va d'ailleurs plus loin, car elle remédie à un mal qui est une des pierres d'achoppement de la Loi-Cadre : la fuite des Européens ou leur exil à l'intérieur de l'Afrique. Ceux-ci ont une excuse : l'incertitude sur leur avenir. Créer un corps nouveau qui garantisse leur carrière, tout en les mettant au service d'une Afrique qui a plus que jamais besoin de leurs conseils, est une idée féconde et qu'il convient de réaliser.

Pour éviter des crises politiques, comme celles qui ont éclaté en Haute-Volta et au Dahomey, il faudrait aussi, toujours dans la logique de la Loi-Cadre, organiser la responsabilité des Conseils de Gouvernement devant l'Assemblée de Territoire, tout en évitant de faire à l'Afrique le cadeau vénéneux de l'instabilité ministérielle ou du gouvernement d'Assemblée. À ce sujet encore, le Groupe MRP de l'Assemblée de l'Union Française a déposé une proposition constructive.

Plus encore, peut-être, doit-on d'urgence compléter l'autonomie interne des territoires par le transfert de certains services que la Loi-Cadre a réservés à l'État. Ainsi, la tutelle des communes devrait revenir au Ministre de l'Intérieur des territoires. C'est une anomalie de la conserver au Gouverneur, c'est-à-dire en fait au Commandant de Cercle. Je ne prétends pas me livrer à une énumération exhaustive qui serait vite fastidieuse. Je me résumerai donc en disant que le territoire doit posséder, sur le plan de la gestion, sa complète autonomie interne.

Territoire ou groupe de territoires ?

Dans leurs instances, certains partis africains ont émis une autre revendication : que des Conseils de Gouvernement fonctionnent, non seulement, comme il en est aujourd'hui, à la tête de chaque territoire, mais à la tête des groupes de territoires : AOF et AEF. Savoir s'ils désirent ou s'ils ne désirent pas des exécutifs à Brazzaville et à Dakar ne regarde que les Africains et je me garderai de prendre parti.

Mail s'il appartient aux Africains de décider, il convient que nous leur laissions la pleine liberté de leur choix. Or, si la Loi-Cadre fait du territoire la cellule de base de la Communauté franco-africaine, force est de reconnaître que toute notre politique a tendu à transférer le maximum de pouvoirs à l'échelon du Groupe. C'est au Groupe que nous versons les subventions. C'est à l'échelon du Groupe que sont prises des décisions importantes. Nous avons confié aux Grands Conseils de ces Groupes la prérogative exorbitante d'arbitrer l'économie des territoires – ceux qu'on prétend riches, Côte d'Ivoire et Sénégal, soutenant par son intermédiaire les territoires les plus pauvres. Il importerait donc que désormais la métropole prit en charge directement le déficit de ces territoires pauvres. Que directement elle subventionne les investissements territoriaux. Si les Territoires africains jugent que leur essor économique ou politique exige qu'ils aliènent au profit des groupes une partie de leurs prérogatives, s'ils préfèrent ce mode pour se gouverner eux-mêmes, s'ils estiment nécessaire d'alimenter entre eux un budget fédéral, cela ne regarde qu'eux. Je crois que nous ne pouvons commettre pire erreur que de nous mêler de ce qui est vraiment leur domaine.

Je le devine, le programme que je viens de développer peut provoquer une question : en quoi ces prérogatives nouvelles aideront-elles les Africains à se mettre en défense contre un communisme qui les menace ? Je répondrai : D'abord en donnant une assise à un système politique solide et efficace. Ensuite, en apportant satisfaction à des revendications légitimes, et donc en provoquant un apaisement politique. Mais surtout par l'exercice de responsabilités concrètes. La grande erreur des Américains, pour répondre à la propagande soviétique, a été de faire de la liberté un slogan. La liberté n'est pas un slogan. La liberté c'est une faculté qui s'acquiert, et qui s'acquiert dans l'exercice des responsabilités. La liberté cela s'apprend dans des tâches bien solides. La mise en défense de l'Afrique contre le communisme, ce n'est pas de lui répéter un slogan, mais à travers les institutions d'une Loi-Cadre dûment complétée, lui faire acquérir l'exercice de la liberté, et j'allais même dire : son ascèse.

Aider les Africains à s'aider

Mais la liberté n'est qu'un mot vide quand on meurt de faim. Sans même qu'on meurt de faim, en dessous d'un certain équilibre de la vie, elle est un mot creux. Voilà pourquoi s'impose à nous, pour cimenter la Communauté franco-africaine, de maintenir l'effort d'investissement en Afrique. Je dirai plus : les institutions libérales dont nous proclamons la nécessité n'engendreront que des troubles si à leur progrès politique ne continue pas de répondre un progrès économique. Telle est la grande faille de ce « cartièrisme » qui se répand de plus en plus.

Si je ne crois pas nécessaire devant vous de répéter pourquoi nous devons maintenir nos investissements en Afrique, je dois pourtant vous indiquer qu'à mon sens une transformation complète est à opérer dans la manière de les appliquer. La loi de 1946 qui a créé le FIDES ne correspond plus à la situation politique présente.   Elle a été faite pour une République plus unitaire que la nôtre, comme pour des pays moins évolués qu'ils ne le sont à présent. Si nous n'y veillons et si nous ne transformons nos méthodes, l'effort même que nous accomplirons nous sera reproché par ses bénéficiaires. Tel est le résultat inéluctable du paternalisme. Je crois que des directions nouvelles s'imposent. En premier lieu, le volume des investissements à appliquer dans un territoire devrait être négocié bilatéralement avec le territoire lui-même. Ainsi, éviterons-nous les enchères et les accords occultes qui jouent trop souvent au Comité Directeur du FIDES. Ensuite, il appartiendra au Territoire de décider l'emploi des fonds, quitte à ce que nous contrôlions, a posteriori, la sanction étant l'interruption des crédits. Comme je l'ai lu dans une revue excellente, mais qui ne peut passer pour révolutionnaire, la Revue Militaire d'Information, « Le temps est passé où il fallait aider les Africains. À présent, il faut que nous les aidions à s'aider eux-mêmes ».

Bâtir la Communauté franco-africaine, plutôt que la définir

Mais il importe de parfaire la Loi-Cadre, s'il importe de parfaire à travers elle l'autonomie des Territoires, il importe aussi que nous bâtissions avec les Africains la Communauté franco-africaine. Et il importe que cette Communauté soit une communauté libre. Nous ne retiendrons personne de force. La communauté que nous voulons bâtir avec les Africains n'est pas une prison, avec des barreaux. L'indépendance doit perdre la saveur du fruit défendu. Si un territoire la réclame, nous n'y verrons pas un geste inamical. On peut se quitter tout en restant bons amis. Nous regretterons ce départ, moins pour nous-mêmes que pour lui, car la voie qu'il aura choisi est une voie difficile, et le début d'une aventure dont il n'aura sans doute pas mesuré l'ampleur. Mais, encore une fois, il est libre. Seulement qu'il en connaisse le prix. Le bénéfice de la communauté ne peut appartenir qu'à ses membres – son bénéfice sur le plan des investissements, sur le plan de la compensation du déficit budgétaire, sur le plan des débouchés, sur le plan de la défense, sur le plan du poids diplomatique dans un monde où les isolés ne comptent pas. Une communauté se doit d'abord à ses membres.

Ajoutons que dans un pays loin d'être équipé totalement, comme la France, le contribuable ne soutiendrait pas longtemps son efforts envers des pays avec qui il ne se sentirait pas associé.

Les Africains savent l'effort que nous avons entrepris en leur faveur, nous, le pays qui a le plus dépensé pour des pays sous-développés. Ils savent que cet effort nous désirons le poursuivre et que sa poursuite ne dépend que d'eux. Parce que beaucoup de notre âme est en Afrique, nous ne la pouvons larguer comme le propose M. Raymond Cartier, à la fin d'une opération comptable. Mais force nous est de nous réserver pour ceux qui veulent marcher avec nous.

Pourtant ce que demandent les Africains dans leur immense majorité, ce n'est pas l'indépendance, c'est ce qu'ils ont réclamé à Bamako, nous l'avons vu : la Communauté franco-africaine. En quoi leur réalisme se manifeste. Ils savent que leur liberté est fonction de leur association avec une grande puissance. Seule, celle-ci les garantit contre l'impérialisme soviétique. Seule, elle les garantit contre les autres colonisation de remplacement : le capitalisme américain, sans doute, mais beaucoup plus de nouveaux impérialismes. C'est un fait troublant que, l'indépendance à peine acquise, les nationalismes se muent en impérialismes. Le Maroc revendique une Mauritanie qui toujours a lutté contre lui. L'Égypte ne cache que très mal des ambitions dont le spectre a causé un malaise à la Conférence d'Accra. Quant à l'Inde, sous le poids de la misère et d'une population excessive, elle se cherche des colonies. Le vide relatif du continent africain l'attire, comme l'attire encore plus, nous le verrons, Madagascar. L'ONU se fait l'instrument de ces impérialismes. Ne nous y méprenons pas : la création dans son sein d'une Commission économique pour l'Afrique est une menace directe. Nous savons trop, depuis dix ans, que l'ONU  est le serviteur docile de ces nouveaux impérialismes.

Quand les Africains réclament la création d'une Communauté franco-africaine, ils y associent souvent la révision du Titre VIII de la constitution. Cette révision, le MRP la demande depuis trois ans dans le sens d'un très grand assouplissement. Le Groupe de l'Assemblée Nationale a déposé un texte que je crois encore le meilleur. Depuis lors, d'autres partis ont entonné cette antienne. Pour se classer, ils suggèrent les procédures les plus inquiétantes. M. Mitterand propose la convocation de véritables États Généraux. De quelque façon qu'on dénomme une pareille conférence, la plus grande réserve s'impose. Pour se classer vis-à-vis de leurs opinions, les Africains y seront forcés de s'aligner sur les positions les plus extrêmes. C'est condamner au silence ou aux surenchères les plus réalistes d'entre eux. Certes, on ne peut trouver meilleure méthode pour aboutir à la dissidence générale. Les Africains doivent être entendus, et rien ne doit être entrepris sans leur accord formel. Mais n'ont-ils pas déjà pour s'exprimer la voie démocratique de leurs Conseils de Gouvernement ? N'ont-ils pas, comme le faisait récemment remarquer M. Mamadou Dia, Vice-Président du Sénégal, comme porte-parole des parlementaires élus par le suffrage populaire ?

Je crains, pour la révision du Titre VIII, un assaut de verbalisme qui cache les réalités politiques. Une bataille de mots est engagée. On parle de fédération, de confédération, sans d'ailleurs voir qu'il ne s'agit plus, dès lors, seulement de la réforme du Titre VIII, mais de toute la Constitution. Prenons garde de ne pas ajouter à l'instabilité du pouvoir l'instabilité des institutions républicaines. On multiplie les vocables abstraits. On croirait qu'on peut résoudre des problèmes politiques simplement en feuilletant le petit Larousse ! Je crois qu'avec beaucoup plus de solidité les Africains nous ont tracé la voie en employant ces mots de Communauté franco-africaine.

Mais je crains encore plus la lenteur et la difficulté de toute révision constitutionnelle, car nous jouons sur quelques mois sinon sur quelques semaines. Nous sommes payés pour savoir ce que peut donner l'addition de la timidité et de la démagogie. Or, nous ne pouvons différer la réponse à la question que nous adressent les Africains. Sans attendre donc les constructions juridiques qui devront venir, entrons dans leur voie. D'abord en associant les Africains à celles de nos institutions qui actuellement gèrent les destinées communes. Les grandes orientations de la politique économique devraient être concertées avec eux. Qui empêcherait, lorsque se présente à nous une option importante dans un de ces domaines, de réunir en conférence autour du Gouvernement de la République, les Présidents de Conseil de Gouvernement ou leurs ministres compétents. De telles conférences ont eu lieu cet hiver, mais sur des sujets proprement africains. Il faut en élargir le domaine. C'est à tout ce qui peut réagir sur la vie de leurs territoires qu'il convient d'associer les gouvernements de l'Afrique. Pourquoi ne pas voir avec eux, par exemple, les problèmes posés par l'application du Marché Commun ? Pourquoi ne pas étudier avec eux les mesures à prendre ? Pourquoi ne pas discuter d'emblée avec leurs ministres compétents les plans d'investissement ou d'équipement et les projets qui, tels le Kouilou ou le Koncouré, intéressent toute la République ? Ce ne sont là que des exemples.

J'irai plus loin. Pourquoi ne pas organiser des consultations de cet ordre quand se posent des options de politique étrangère ? Les Africains les comprendraient mieux si les mobiles leur en étaient expliqués, et nous-mêmes serions éclairés sur des répercussions que nous pouvons ne pas prévoir. Il faut donner à la Communauté franco-africaine en construction, un caractère d'activité concrète, et cela dans tous les domaines. Nous devons réaliser notre association sur des faits, mettre les Africains à cette école du pouvoir : les problèmes de Gouvernement.

Et sans attendre non plus les constructions juridiques, nous pouvons créer d'autres solidarités. Ce sera toujours dans le même esprit. Nous vivons déjà avec l'Afrique dans une très grande solidarité. Il faut la renforcer et créer avec elle un véritable réseau de communautés économiques. Je souhaite que nous sachions créer une solidarité dans les corps de l'État. Tous nos grands corps de l'État devraient comporter des Africains : Conseil d'État, Cour des Comptes, Inspection des Finances, Corps diplomatique. Il faut qu'en dehors même des institutions à venir de la Communauté franco-africaine, les Africains comprennent que l'État, c'est eux aussi.

Oui, tout cela il faut l'entreprendre immédiatement. La Communauté franco-africaine, il faut moins la définir que la bâtir. Ne nous enlisons pas dans les procédures car l'édification de la communauté franco-africaine cela doit être d'abord une immédiate percée politique, cela doit être d'abord un bond dans les réalités concrètes du pouvoir. Nous en avons déjà le moyen, même avec les instruments juridiques qui sont en nos mains. Rien dans les textes ne nous interdit de consolider les cellules de base de la communauté, autrement dit de parfaire l'autonomie de gestion des territoires en complétant la loi-cadre. Rien ne nous interdit non plus de nous associer avec les Africains dans de grandes organisations économiques, de leur ouvrir les grands corps de l'État. Rien ne nous interdit, à chaque occasion concrète, de réunir ces conférences entre l'exécutif des territoires et les ministres qualifiés du Gouvernement de la République. Sans doute est-ce plus réellement audacieux que de manier le dictionnaire, mais c'est aussi éviter l'aventure que l'on court toujours quand on quitte le domaine des faits.

Alors, ce que nous aurons bâti, nous pourrons l'institutionnaliser. Si notre percée politique a malmené tel ou tel article de la Constitution, les lenteurs et les palinodies n'en empêcheront plus la révision, car elle se sera inscrite dans la vie. Les amendements des combats d'arrière-garde ou de la surenchère ne pourront plus ni la vider de sens, ni nous lancer, l'Afrique et nous, dans l'aventure. Alors, la Communauté franco-africaine ne sera pas un mot parmi d'autres mais une union de peuples libres.