L'Afrique entre deux civilisations

Quand les hommes-panthères sortent

Une nuit d'un de mes derniers séjours africains, une nuit moite de la saison des pluies au Cameroun... Le tam-tam battait au loin, oui, le tam-tam de tant de films en technicolor. Sous la brusque lueur des éclairs, les fromagers dressaient jusqu'aux nuages leur fût d'argent. Des pas, des frôlements filtraient sous les immenses herbes. Opaque était le silence entre les reprises du tam-tam ; tout à coup, un miaulement le déchira. Une panthère rôde ici, pensai-je, quand mon ami africain se précipita dans ma chambre. « Les Hommes-panthères sont sortis », me dit-il. J'eus besoin de quelques minutes pour comprendre qu'il croyait vraiment au pouvoir qu'auraient certains hommes de se muer en panthères.

Et lui, l'évolué classique, il me cita plusieurs exemples de ces transformations d'hommes en bêtes. Si vive était sa frayeur qu'il passa la fin de la nuit dans ma chambre. Avait-il tout à fait tort ? On ne sait jamais en Afrique. Quelque chose échappe toujours à notre raison. Le mystère africain se referme sur nous, comme ces lianes de la forêt si vite repoussées derrière les pas du voyageur. Colonisation, décolonisation, survivance des traditions sous la plus moderne démocratie, discussions sur le fides interrompues parce qu'on a entendu miauler l'Homme-Panthère : tout cela, c'est l'Afrique, tout comme le pont sur le Wouri ou l'hôpital de Niamey. Je pense à cet hôtel de Ngor, aux portes de Dakar, dressant sa silhouette futuriste dans un paysage préhistorique de baobabs. C'est encore l'Afrique entre deux civilisations, une Afrique pour laquelle nous ne serons jamais sûrs de rien, sinon de notre ignorance.