Nous avons évité à notre Afrique le sort du Congo

Politique insuffisante aux protectorats

Quand je retrace l'histoire de l'outre-mer pendant la IVe République, je me sens fier du rôle que le Mouvement a joué dans l'évolution de l'Afrique, je constate que nous avions vu juste pour l'Algérie, je vois que, pour l'Indochine, les vraies responsabilités se situent ailleurs que chez nous. Au contraire, je reconnais que, pour le Maroc et la Tunisie, nous avons été fourvoyés.

Certes, l'éviction de Mohammed V n'est pas imputable à Georges Bidault. « L'Express » a divulgué ses télégrammes de l'époque. Ils le disculpent entièrement. Mais ceux des nôtres qui occupèrent le Quai d'Orsay ou bien n'ont pas pu, ou bien n'ont pas vraiment voulu faire évoluer le statut de protectorat. Robert Schuman n'y a pas réussi. Georges Bidault n'en a pas vu l'urgence, ni peut-être même la nécessité. On discutait encore de la loi électorale pour Casablanca quand déjà le retour à la pleine indépendance était imminent.

Dans un article de la Nef, Robert Schuman a expliqué l'impossibilité d'être obéi par des proconsuls (parfois un maréchal de France, et Juin fut le plus néfaste de nos Résidents généraux) qui touchaient directement le Président du Gouvernement et certains éléments de la majorité parlementaire par-dessus le ministre des Affaires étrangères. Néanmoins, Georges Bidault ne me semble pas avoir compris que l'Histoire ne se vit pas dans l'immobilisme des palimpsestes et que laisser le Maroc à la dictature des bureaux de Rabat (les onze dictateurs de la Résidence) menait à l'éviction de la France.

Peut-être dans mon témoignage ne retiendra-t-on que l'aveu de cette erreur. Ainsi va la politique. Bidault ne l'a pourtant pas commise seul et certains des apologistes actuels de la décolonisation ont soutenu le maréchal Juin voire le général Guillaume, quand celui-ci menaçait les Marocains de leur « faire manger de la paille ». Mais au regard de l'insuffisance radicale de notre politique en Tunisie et au Maroc, j'apporterai cette œuvre que nous, du MRP, nous avons accomplie en Afrique noire et cette décolonisation progressive qui a évité à ce continent le chaos du Congo belge. J'apprécierai que ce que nous avons entrepris pour que l'Algérie connût cette même décolonisation progressive. Je le répète : en appliquant le statut de 1946, on évitait la catastrophe.

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Je n'écris point ces lignes dans un souci assez vain de justification pour mes amis qui alors menèrent le jeu. J'ai trop perdu le goût de l'action politique pour éprouver un tel souci. Mais le MRP ce fut pour nous beaucoup plus que l'adhésion à une formation : un engagement de la personne.

Aussi est-ce en termes de fidélité à soi-même que je parle de ce passé, non point en termes de politique, mais comme un examen de conscience. Et pour mes camarades qui furent au gouvernement, comme pour nous autres, simples militants, je garde la tête haute.