L'Afrique entre deux civilisations

Le continent communautaire

Cette espèce d'unité sacrale de la vie, comme d'ailleurs les rudes conditions de l'existence, comme aussi le faible développement économique expliquent la seconde unité de l'Afrique : son caractère communautaire. Nouvelle unité de l'Afrique et nouveau trait imprimé à sa politique. « Le premier point essentiel qu'il importe de considérer, a écrit Jacques Richard-Mollard, c'est l'importance capitale du groupe... Le Noir ne se conçoit pas par soi-même seul. Le Noir isolé est un hors-la-loi : il disparaît. La cellule fondamentale des sociétés noires n'est nullement comme chez nous l'individu, mais déjà un groupe. L'individu n'est à l'aise que s'il se saisit lui-même par rapport à une communauté ; il est une dent de rouage dans un complexe engrenage. Tout son passé le forme à ne savoir que faire de la liberté individuelle »8. et il ajoutait : « A la base il y a le lien du sang, donc le groupement familial entendu d'une manière large, donc le culte des ancêtres, base de tous les animismes négro-africains. Le groupe sociologique africain est une église autant qu'une société. Les membres sont frères... les ancêtres exigent encore que soit assurée la conservation de la coutume qui prend aussi le caractère d'une Loi religieuse et d'un rituel. » On voit combien est serré le tissu social, à trame religieuse, de l'Afrique. Se séparer de ce tissu social, c'est se vouer au néant, et d'autant plus que tout devient social, et d'abord la morale. C'est non pas le mari, mais le groupe qui châtie sauvagement l'adultère de la femme ; l'épouse infidèle est exposée nue sur la place du village et soumise à d'affreux supplices. C'est qu'elle a attenté, non au bonheur du couple, mais à la base de la Société. Société donc étroitement fermée où l'autorité de l'ancêtre gardien de la coutume ne peut être qu'absolue ; mais un Conseil veille à l'application de cette coutume, ce qui aboutit à la démocratiser. Dans une telle société, le souci suprême est d'assurer la continuité du groupe par une postérité : aussi occidentalisé qu'il soit, la hantise de sa descendance continue d'obséder l'Africain. La propriété ne peut être que collective, et le chef a pour première mission de distribuer périodiquement la terre. Aussi, dans cette Société, le tissu social, à l'opposé  de ce qui se passe dans la nôtre, se constitue beaucoup moins par la circulation des biens que par le rapport des personnes : le faible développement économique renforce ce trait africain.


8 Jacques Richar-Mollard : « Collectivités d'Afrique Noire », dans Hommage à Jacques Richard- Mollard, page 37. - éditions Présence africaine