Toumliline

Sans date - 1963 ?

 

La fondation du prieuré bénédictin de Toumliline, au Maroc, apparaîtra aux historiens futurs comme un des événements importants non seulement dans l'histoire monastique de notre temps, mais encore dans l'histoire de la civilisation. On ne peut donc être que reconnaissant à Élisabeth des Allues du volume qu'elle a consacré à ce prieuré et à sa filiale de Bouaké, en Côte d'Ivoire41. Ce livre, il est clair et complet, et il contient en outre, des textes, notamment du prieur Don Denis Martin, qui à eux seuls mériteraient qu'on achetât l'ouvrage.

À notre époque les continents se sont rencontrés. Des civilisations diverses, pour ne pas dire opposées, se sont trouvées en cohabitation. Dans l'ensemble cette rencontre fut surtout leurre et méprise. Elle a engendré des irritations et des contre-sens. Or, à Toumliline, au contraire, et peut-être pour la première fois – au moins de façon un peu organique – l'Islam et le Christianisme, indirectement la civilisation occidentale, se sont expliqués l'un et l'autre et ont tenté de se mutuellement connaître, non dans la sécheresse des livres, mais dans la vie. Entreprise hardie et périlleuse que la charité des moines a rendue possible, même aux pires moments de la lutte pour l'indépendance. J'étais au Maroc, ce sombre mois d'août 1955. C'était l'heure tragique des assassinats de Meknes. Dans ce monde troublé, j'ai abordé à Toumliline un îlot de paix. Quelques deux cents étudiants musulmans, tous nationalistes s'y étaient rassemblés. À l'heure des massacres, on pouvait avec eux aborder calmement et clairement les problèmes.

Depuis lors Toumliline a poursuivi son œuvre, organisant en particulier des sessions d'étude qui auront largement contribué à faire comprendre aux Marocains qu'il existe aux problèmes de leur pays d'autres solutions que la solution marxiste. Sous les admirables bois de Cèdres qui surplombent le monastère, des amitiés se sont créées. Au delà des différences d'origine et de religion, quelques chose de nouveau a pénétré dans le Maroc, pour l'élaboration de sa civilisation future. En ce sens les moines de Toumliline ont œuvré comme leurs devanciers des premiers siècles dont, dans un livre récent, les Moines et la Civilisation, M. Decarreaux a retracé l'épopée42.

La confrontation annoncée à Toumliline entre l'Islam et le Christianisme se poursuit désormais à Bouaké entre le civilisation occidentale, dont enfin on présente aux Africains autre chose que la caricature et les déchets, et l'âme noire. Là aussi des rencontres ont lieu. Là aussi on aborde les problèmes de la Cité, en cette heure ambigüe de la décolonisation.

Je souhaite qu'on lise cet ouvrage, le livre d’Élisabeth des Allues. Je souhaite surtout qu'il pousse beaucoup à se rendre à Toumliline si les circonstances le leur permettent. Ils y visiteront un des hauts lieu de notre temps.


41 Éditions du cerf.

42 Arthaud.