Une page africaine de la Genèse

23/7/1965

 

Cette histoire, elle est contée par M. Hampate Ba, le sage musulman du Mali, ethnologue et sociologue très averti au surplus. Celui-ci la tient pour vécue, d'un témoignage digne de foi, et la cite en exemple de la noblesse morale à laquelle peut atteindre l'Animisme. Pour moi, chrétien, j'y verrai plus : une pierre d'attente du christianisme, sa préparation et comme une page africaine de la Genèse : à la lire on n'est pas surpris que Paul IV ait pu déclarer que « le christianisme trouve en Afrique une prédestination particulière ».

Je vais tenter de la résumer, renvoyant le lecteur au récit complet que les Éditions du Seuil en ont donné dans le volume « Les Religions Africaines Traditionnelles », tiré des Rencontres Internationales de Bouaké. Je demande seulement, ne pouvant en quelques lignes apporter toutes les nuances nécessaires, qu'on situe ce court résumé dans le contexte d'une civilisation qui admettait, comme l'ancien Chanaan, le sacrifice humain et qu'on ne m'accuse pas d'approuver le crime, fut-il rituel ! Mais venons-en au récit : Antandou, grand sacrificateur dogon de Bandiagara au Mali, devait annuellement offrir à Amma, son dieu, une victime humaine de sang blanc, donc Peul,  Arabe ou Touareg. A défaut d'une telle victime, c'est un de ses propres fils qu'il serait contraint d'égorger. Une année la victime de sang blanc vint à manquer. Un fils d'Antandou était déjà désigné, quand une femme Peul s'égara au marché de Bandiagara. Elle apparut la victime de substitution qu'envoyait Amma pour sauver le fils d'Antandou. Mais avertie du danger,  elle se réfugia chez celui-ci invoquant les lois de l'hospitalité. Pour être fidèle à cette règle morale, il ne dénonce pas cette femme ; bien au contraire il la cache renonçant ainsi à sauver son fils. On la découvre, mais toujours fidèle à le loi morale il lui fournit encore le moyen de se sauver, puis revient égorger son propre enfant.

Comment, au récit d'une telle histoire, ne pas évoquer Abraham gravissant la montagne de Moria avec le feu, le bois du bûcher et le couteau du sacrifice ? L'histoire, telle que la conte M. Hampate Ba, décrit l'opiniâtreté d'Antandou à suivre contre son propre sang, l'ordre divin d'hospitalité. Le sacrifice d'Abraham a prophétisé le Calvaire : presque deux millénaires après la Passion, le sacrifice d'Antandou n'est-il pas également une prophétie, une annonce au peuple d'Afrique encore dans l'obscurité ? N'est-il pas une prophétie comme différée ?

Parfois nous nous impatientons à sentir si lente la montée du peuple noir vers le Christ. L'histoire d'Antandou, encore une fois authentique, vécue dans ces étranges falaises de Bandiagara tout hérissées de toits pointus par les populations semi-troglodytes, nous réconforte comme un signe des préparations divines. Reflet et image d'Abraham, Antandou hausse la race noire à préfigurer l'immolation du Fils de Dieu. Rassurons donc notre impatience, Il vient.