Pour une renaissance africaine

Les illusions des mots magiques

Le tableau paraîtra sévère. Je supplie mes frères africains de ne pas s'en offusquer ou s'en froisser, non tant parce qu'ils ne portent pas la plus lourde responsabilité de cet état de fait, mais parce que l'Afrique n'atteindra vraiment à son destin providentiel qu'en prenant pleinement conscience de ses déficiences et des ses difficultés. Tout le monde ment aux africains, par racisme inversé, mais racisme quand même, on les flatte et on les flagorne. Ils s'y laissent prendre, et au lieu d'aller vers le progrès que permet une conscience claire des problèmes, on les endort avec l'opium de mots sonores. Les uns, du côté capitaliste, ne veulent surtout pas que cesse un état de chose qui par son caractère trouble, doublé des facilités de la concussion, permet d'appréciables profits. Les autres ont inventé un mot magique dont le seul prononcer (et combien on le prononce, ce mot), sauvera l'Afrique : le SOCIALISME. Il est vrai qu'on le flanque d'épithètes qui achèvent de vider de son vrai sens un mot en soi-même déjà très vague.

Or ce terme présente déjà en soi le grave danger d'être un alibi. Il dispense de penser et de réfléchir. Il évoque les formules par lesquelles l'enchanteur change en rubis et en saphir les vils cailloux de la route. Je ne me risquerai pas à donner une définition du mot Socialisme, ni à porter sur les régimes qui s'en inspirent un jugement de valeur. Je remarque que dans les pays scandinaves, le socialisme a permis un épanouissement de l'homme. Mais je remarque aussi qu'un système économique aussi interventionniste suppose une triple condition qui justement fait défaut aux peuples qui veulent sortir de l'ornière du sous-développement : une administration tout à la fois nombreuse, honnête et compétente. Qu'une de ces qualités fasse défaut et le dirigisme mène à l’abîme. Karl Marx l'avait bien compris, qui place le socialisme en ultime étape du développement industriel.

Sans doute évoquera-t-on l'exemple chinois. Je ne connais pas la Chine Populaire et m'abstiendrai de dire si elle est un échec ou une réussite. Mais je crois qu'on doit être prudent quand on évoque l'exemple chinois. La Chine n'était pas un pays neuf, mais à l'extrême retombée d'un développement pluri-millénaire. Elle possédait le plus extraordinaire capital de travail humain, la plus merveilleuse adresse artisanale, l'intelligence dialectique la plus aiguë. Son sens de l'effort et de l'épargne laissait derrière lui celui de l'Occident. Tout en témoigne, et jusqu'à l'odeur de fiente humaine des campagnes chinoises... En fait la Chine n'était pas un pays dont d'intimes structures de refus entravaient le développement, mais un pays possédant tous les atouts de ce développement dont un régime impuissant paralysait l'essor. Les données africaines du problème sont totalement différentes.

Je viens, je le répète, de prononcer un diagnostic assez sévère. Il n'a d'intérêt que s'il peut amener les jeunes hommes d'Afrique à réagir et à prendre en main le destin de leur pays, à le dégager de ses entraves. Je les en supplie : qu'ils ne s'en offusquent pas. Quand je parle de l'Afrique, je ne le fais pas en étranger. La chaleur humaine du Continent noir, ce don de communication que seuls possèdent les africains, cette vitalité et comme ce vitalisme de leur âme, un sens religieux inné tel que je n'ai jamais senti le Sacré aussi près et aussi perceptible qu'en certains soirs de brousse, tout cela fait qu'au bout de trois mois en France je me sens comme un exilé. Je parle donc en membre de la famille.