Barbe-bleue

 

« Comme je les ai aimées » disait Barbe-bleue de ses femmes ; aucune qui ne me fût très chère. J'en frémis à leur souvenir. Iseult La Blonde et Mahaut La Brune, et Grunehilde qui venait de Bretagne, et Isemballe de l'Orient et la Romaine de Trehigoutte. Mais la dernière était la plus belle. Les cheveux noirs et bleus et comme une nuit de lune, les joues pâles et comme ombrées d'azur elles aussi. Les paupières sans cesse battantes.

Que je l'aimais au jour où je dus la tuer, car j'ai du la tuer moi-même. Ainsi le voulait mon devoir. Ah ! Qu'on me tue si je ne l'ai pas fait par devoir. Elle a tendu doucement son cou sous mon épée, et sur le point d'expirer elle m'embrassait encore  la main, Oh ! Douce biche, et ses yeux pleins de larmes ne quittaient pas mon regard, ses doux yeux de biche qui meurt.

Ainsi parlait Barbe-bleue à ses juges. Ils étaient tous en robe rouge et jaune. Et pas un qui ne le comprit. Chacun pensait à ce qu'il avait tué dans sa vie. Et chacun voyait dans son âme une longue salle où gisaient les jeunes femmes exsangues. Tout ce qu'à chaque heure ils avaient laissé de la vie.

Messire Barbe-bleue fut pendu, son corps brulé et le vent dispersa ses cendres. Il faisait un de ces beaux printemps où chacun de nos pas foule des fleurs.