Divers poèmes
Je n'aurai jamais qu'un seul destin, O lèvres
Ne pas sentir cette saveur que vous sentez
Ne pas goûter le fruit qu'un autre monde le rêve
La passion qui fait ses doigts crispés
Je ne serai jamais que moi,
J'ignorerai les nuits que je n'ai pas veillées,
Des étoiles pour moi n'ont pas luit, des flots
En vain pour d'autres yeux sur le sable effeuillés
Ont murmurés des chants que je n'ai pas connus
Des femmes ont levées vers moi leurs bouches nues,
Mais je n'ai pas senti leur volupté, ma joie
Jamais n'a dépassé mes mains et cette joie
Était solitaire aussi dans une ivresse comme moi
Hommes ! Quel goût a pour nous cette vie ?
Quel est pour vous le chant d'extase que le jour crie
Dans l'émoi d'un printemps comblé d'or et de feuilles
Quelle odeur a la brise au dessus des lilas
ou l'air stagnant coincé sous les branches épaisses
Des marronniers. Et quelle est la couleur des étoiles,
Et cette voie lactée qui cache de son voile l'obscurité des nuits
Extases, si parfois d'un mot vous me le dites,
C'est l'aveu, le serrement de main, le geste
On communie,
Une secousse, l'air a cette saveur agreste
Pour nous deux. Mais l'instant passe et c'est fini.
Jamais je ne saurai l'émoi que vous seriez,
Lèvres qui vous pressez sur mes lèvres, jamais.
7 juin 1943
Serait-ce déjà l'été ?
Hier, de toute part participait le printemps ! La profusion végétale entre un soir et un matin déferlant. Mais aujourd'hui, par cette pluie chaude, ce n'est déjà plus le printemps. Au coin de la rue, je pensais voir les paulownias tendre leur flamme violette, je ne vois qu'une commune masse de feuilles, larges et planes, où l'eau ruisselle.
Et sur les visages, cette surgiture, l'élan de vie, qui, hier encore, animant d'un sourire nouveau, d'un charme les visages s'est dissipé. Chaque visage reflète seulement sa peine. Oh ! Toutes ces peines, inconnues, murées, dont ne transperce qu'un reflet. Nous n'en connaissons jamais que l'écho – la plainte – et chaque homme est comme un vase où reposent soigneusement encloses ses douleurs.
Tristesse de ce soir d'été. On est las de tout un jour de travail. On pleurerait si on osait et par les larmes peut-être un peu de douleur s'évaderait, se répandrait, se ferait connaître ou commencerait peut-être...
En vain, nous partons. Ce visage, un instant sauvé se dégage le recouvrent les larmes du souvenir. Il n'est que cette lourde pluie d'été qui tombe, et dans le jardin ruisselant, une rose avant de s'ouvrir est déjà flétrie.