Fragments de poèmes

J'ai vu venir ma création comme un navire sur l'océan de son Esprit... J'ai vu venir ma création comme un navire – lourdes voiles gonflées de grâce. Les cordages étincelant comme le givre. J'ai vu venir ma création comme un navire chargé de grâce... le vent dans les filins chante le chant de la forêt. Entre les vergues était tendu l'azur des flots... Mais chaque mat était un âme. J'ai vu les hommes comme les mats de mon navire contenant par l'esprit toute ma création. J'ai vu...

O navire gorgé d'azur sur la mer bleue – quand les mats frôlent le zénith... Navire bleu avec l'éclat d'une blancheur étincelante. O mon navire.

Le navire traînant un sillage.

Le prêtre est à l'autel, comme la proue d'un navire et les fidèles tissent la coque.

Et mon fils lui-même tenait l'hostie. Mon fils, sous la chasuble de chaque prêtre – mon fils levant les bras de toute élévation.

 

 

Terre parfaite comme un visage, je t'ai aimée.

 

La vallée s'ouvre comme une fleur, exfoliée de ses glaciers, bordée de neige. Et je plonge dans cette coupe évasée, dans ce calice qui me porte, qui m'élève, et soudain je me sens offert par la paume de la terre, pris par les montagnes comme dans les mains d'un prêtre debout.

 

Terre qui m'a pénétré. Terre que je bois par mes yeux, mes mains, ma bouche, entrée en moi par tous mes regards, incise dans mes pensées, infuse dans tout mon être, mêlée à ma chair, à mon esprit, mêlée tout à tout moi.

 

 

Plus haut que les soleils, plus vastes, plus forts,

jaillis du premier matin, et partout leur présence, l'exaltation de leur présence.

Les Anges.

Vibrants, épées nues de la pensée de Dieu, paroles de la Parole, verbes du Verbe.

Et ce grand combat qu'ils mènent contre les splendeurs de l’abîme, contre leurs frères en beauté.

Devenus Mal.

Je les ai sentis, les anges, purs, infiniment purs, tels qu'ils sont sortis de Dieu à l'instant même.

Je sais dans toutes ces choses sensibles leur présence, je m'enivre de les reconnaître, d'être parmi les anges.

Comme un nageur dans la mer, comme un montagnard dans l'air des cimes et que leur grand combat fulgurant,

C'est dans mon âme qu'ils le mènent.

Longtemps je les ai cherchés.

Quand montait au dessus de moi, les arbres de la forêt leur voûte frémissante et que frissonnait dans le petit jour la cime aiguë du pin.

Si vivante, quand les glaciers crêtés d'aurore levaient dans la nuit finissante le miroir bleu de leurs pentes,

et quand, pour réunir à une splendeur trop vive, ruissellent tout à coup, limpides, les cloches d'un troupeau qui passe.

Ou bien quand je me penchais sur la force de la mer, les vagues et les nuées se coursaient, l'orage mêlait le ciel et la mer.

Berger d'illusoires troupeaux je paissais mes inquiétudes sur ses rivages.

Mais par-delà le déchirant appel de la mer, l'horizon vide, sa nudité poignante comme un cri,

par-delà les montagnes de paix, le soir semé de fuyante roses, la fascinante immobilité des monts

plus intimement en moi que le chant des sources ou le frisson du vent sur les orges

Les anges, je les ai possédés, je les ai bus.

 

Adonaï, je te bénis, tu m'as mis au centre du Monde,

Entre les choses visibles et invisibles, aux confins de la terre et des anges,

Noyau de la Création, nœud de l'univers je m'élance

J'atteins à tout, je possède tout. Les étoiles au nom sonore sont accordées à mon ordre.

 Ivresse d'être un homme, cette chose, irremplaçable au cœur du Monde.

Souvent les cymbales de ma jubilation, sonnent les sistres de ma joie.

J'ai cueilli les anémones de la mer, leurs fruits secrets au creux des rochers,

J'ai ramené vers le rivage les longs rubans de ses algues, j'ai vendangé ses raisins amers, les sargasses,

Et quand les coulis hurlaient leur faim sur les vagues, dans les midis plombés, presque incolores de lumière,

 

 

Hosanna ! Pour cette création que j'assume, pour les anges parés comme les épis dans un champ, plus multiples que les feuilles de la forêt.

Hosanna pour l'eau des fleuves qui d'un trait d'argent dessine la terre.

Hosanna !

Joie, bonheur. je suis venu, Adonaï, pour dire que la terre est belle, et pour dire aussi la fulgurance de tes anges.

Avant que ta vision les surpasse, permets que je dise qu'elle est belle, cette création, ta fille.

L'ange même de la terre m'a porté sur l'autel de Dieu.

Voici pour ma prière, la prière des sapins priant, priant.

Les monts levés comme Moïse et d'autres monts sont là qui le soutiennent dans sa prière.

Je suis pris dans l'intercession des choses.

Les ranima-t-il, le cavalier blanc ?

Le cavalier rouge de la pierre

Le cavalier noir de la faim

Le cavalier vert de la perte,

Ils ont chevauché ma détresse

J'ai faim de toutes ces faims éparses par le Monde

La douleur des petits enfants m'emplit la tête

Et le remord

Poulpe visqueuse au cœur de l'âme

Leur faim, leur soif, leur nudité

J'ai créé leur faim et leur soif

J'ai déchiré la joie de vivre

J'ai voulu pécher, j'ai péché,

J'ai engendré les trois cavaliers de la mort.

N'étendra-t-il pas son manteau blanc le blanc cavalier le cavalier de la vie ?

Blanc comme l'éclair, blanc comme le fer à vif, blanc comme la vie.

Il tranche.

Et tombe en lambeaux le vert, le rouge, le noir, les trois chevaux de ma détresse tombent.

Je les ai vus les cavaliers de mes détresses.

Ils m'ont piétiné dans la chair des enfants, chevauchant, chevauchant,

piétinant, piétinant.

 

Ah ! Je ne lèverai pas ma coupe avec les saints !

Je ne suis pas assez pur pour votre justice.

Cavalier blanc !

Je ne comprends pas. Je ne veux pas comprendre.

Je suis hors de chairs torturées, obstruées

J'ai mal dans trop de corps

Mères saignantes, mes sœurs, moi-même

Enfants aux ventres ballonnés, aux yeux …

Je vous suis tous.

À travers toi, mon petit enfant que je tiens dans mes bras, à travers toi la myriade de ma génération.

À travers toi ces peuples qui montent de moi, la multitude de ces peuples qui sont ma race. Jusqu'à la fin des temps, cette parcelle de moi indéfiniment multipliée, plus nombreuse que les étoiles.

Je les vois, et je suis comme Abraham, cette nuit de Chaldée où sa génération lui fut promise.

Et la même voix de Dieu, je l'entends, je la lis dans tes yeux qui n'ont pas reflété le monde.

Mais voici où se reflète pour moi, en nombre indéfini, ma race.

Il a dansé devant l'Arche le roi David, et comment ne danserais-je pas mon petit enfant.

Bonheur

Ce  soir j'ai du bonheur tellement qu'il me brise le cœur.

Vous ne savez pas, petits enfants, combien est déchirant ce bonheur

Que vous verrez

Ce bonheur calme. Tiédeur de vos mains sur le front, vos petites bouches

Comme un fruit qui embrasserait, comme un fruit qui serait vivant.

Et vous êtes vivants. Et vous dormez autour de moi. Et j'entends vos souffles dans la nuit.

Mon bonheur qui êtes quatre petits enfants qui vivent.

Mon bonheur qui êtes quatre sourires, mon bonheur qui êtes ces mains tendues.

Certitude. Le temps ne le prendra pas ce bonheur.

Je voudrais l'inscrire en moi. L'emporter – que s'arrêtent les jours.

Et que l'éternité soit quatre petits enfants qui dorment.

L'arche de cèdre aux templiers de linge, mais qu'étais-ce à côté de toi ?

En elle les reliques du désert, les tables, mais en toi la promesse de la vie.

Il a dansé le roi David, et je danserai, on croira que joue avec toi, mais je danserai ma joie.

La joie que tu m'as donnée d'être Père, la joie de l'innombrable génération sortie de moi.

 

Je suis Père,

J'ai en moi ce reflet de Dieu, plus que toute la création je lui ressemble.

Les cieux chantent la gloire de Dieu, et les flots la multitude de sa force.

C'est un message que le jour a dit au jour, que la nuit a dit à la nuit.

Mais sur ce monde de silence de tumulte, plus que les arbres aux feuilles immensément respirantes,

Le printemps est ma joie pour toi Adonaï, le printemps fuse mon amour.

L'automne, quand l'aube se joint au crépuscule pour la douceur de tout un jour,

Une brume d'or comme l'horizon, avive l'ocre des chaumes, dissout dans son voile les collines,

Dans les fourrés le cri d'une poule faisane souligne le silence, par ce pépiement d'un oiseau dans le noyer déjà sans feuilles,

Et dans les bois la chute molle des châtaignes.

Je m'accomplis dans la paix, inondé de bonheur diffus, comblé de douceur,

Le déclin des jours apaise la douleur de sentir ma vie déjà déclinante.

 L'automne a préludé l'accomplissement de la mort.

Un soir de désespoir sur la mer, en Novembre,

Hurlaient de faim les cormorans. De l'horizon

Montait la brume, et le vent criait.

 

Sur quels naufrages vaisseaux que le vent démembre

Avait passé ce flot lourd et calme.

 

Et la marée montait en moi, la marée haute

J'étais le flux de ces naufrages

Des épaves flottaient en moi.

 

J'étais ces eaux, le vide immense de la mer.

 

Les sables où les pas chaque soir effacés.

Et la marée montait en moi. J'étais le flux de ces naufrages.