Ahes

Le soir s'est endormi sur la mer, et la lune

En le ciel navigue en venant se mirer

Dans le flot scintillant qui glisse sur la dune,

Chaque vague étincelle au moment d'expirer.

 

Les pins se courbent bleus sur la rivière sinueuse

Un bateau vogue au loin sa voile pleine d'air,

il se détache en noir sur la mer lumineuse

Et sur les rochers bruns pend du goémon vert...

 

Une nymphe dans l'eau laisse tomber ses tresses,

Des coraux ciselés brillent dans ses cheveux

Le flot frôle son sein de lascives caresses,

C'est Ahès qui s'étend et ferme ses yeux bleus.

 

Elle ferme ses yeux, ses grands yeux pleins de rêves :

sa pose s'alanguit sur le sable argenté,

Chaque vague l'effleure en embrassant la grève,

Et fait étinceler son beau torse bleuté.

 

Elle chante et la mer se tait pour mieux l'entendre,

Elle chante et sa voix fait tressaillir les monts ;

Sa romance est si lente et si triste et si tendre,

Que les vieux matelots sanglotent sur les ponts.

 

C'est la voix de la mer, c'est sa voix de berceuse,

Sa voix des soirs d'été lorsque le vent est doux,

Lorsque l'onde est tranquille, est calme, est caresseuse,

Et berce en les frôlant, les lourds goémons roux.

 

Vous m'avez demandé pourquoi les équipages,

Aiment obstinément le flot traître et pervers,

C'est qu'Ahès ne vient plus le soir sur les rivages,

Et que l'on ne l'entend que bien loin dans les mers.