Pathétique

 

Descends, l'heure oblique s'étire au long des plaines, c'est l'heure d'or. Du ciel il subsiste juste assez d'azur pour fondre en un vert pâli d'ancienne image, tout au bord, au-dessous du grand appareil des nuages...

Sur ces plaines rares, l'assaut déferlant des nuages. Dès la première pente nous débouchons en plein ciel. On se heurte à son évidence comme à la mer. Le grand ciel tordu de nuages...

Mais le soir d'or s'étend, gagne toute la plaine et les nuages soudain calmes, ourlés de roses, pesants et pleins comme des grappes. J'avance dans l'universel poudroiement d'or. Je m'en pénètre en le pénétrant. Je ne suis plus distinct à moi-même. J'éprouve  jusqu'à l'inepte le foisonnement de chaque feuille, le cri d'un geai, les planes trainées de brume au bord des eaux. Il s'établit du monde à moi un rapport, un échange, un amour.

Les campagnes montent de toute part autour de moi. Elles m'embrument l'âme comme une symphonie. Je les sens sur mes mains et mes yeux. Il n'est plus rien que cette présence indéfinie qui s'impose.

Et je suis comme ce dernier homme au déclin du monde. Le réseau des routes s'est délié, rongé par les herbes et les racines. Partout les arbres se sont rejoints, les eaux ont coulé des digues et les neuves plaines glissent sous leurs joncs des reflets de ciel. Je suis seul dans un silence que rien n'entame et le chant même du peuplier roule sur lui sans l'effleurer. La création s'est fermée sur moi. Déjà m'enserrent les racines, les hautes lianes. Je me défais (?). une conscience un instant éveillée se dissout pour renaître, sans doute avec tout cet univers à jamais pris dans mon corps.