Nocturne IV

8 septembre 1941

 

Comme d'autres cherchent le soleil, j'orienterai ma maison vers la lune. Les belles nuits elle en ruissellera, blanche et comme fondante, embuée et diluée dans la matière cristalline, infiniment pure, où demeurent en suspens les étoiles. Elle se lèvera très haute et droite, si haute que je découvrirai le grand chaos géométrique de Paris : un monde en arêtes vives qui se surmontent avec des ombres brusques comme des blessures.

Un léger vent se lève, parcourt d'un frisson horizontal les branches lourdement palmées d'un marronnier. Ah ! Simplement qu'une feuille puisse vibrer toute seule et j'en frémis d'amour. Ce soir, dans ce monde lunaire où l’enchaînement des causes et des effets perd sa rigueur (il semble que deux et deux ne font plus tout à fait quatre) une immense tendresse me prend. La paix laiteuse de la lune est comme mon amour, fondue à la surface de toutes choses.

O claire nuit d'été, si claire et si pure ! O claire nuit de mon enfance et d'aujourd'hui, toujours si semblable à toi-même. Je te sens déjà dans ma chair. Tu restitues l'enfant qui de si longues nuits écoutait sous le flot d'azur opaque le bruit lointain d'un barrage, et s'attendrissait jusqu'aux larmes quand émergeait enfin, sur la crête du plus haut mélèze, glacée, brillante, la lune.