Jamais plus...

 

Tout à coup, devant moi, mon enfance, parce que les vignes sont bleues de sulfate, parce que les menthes sauvages embaument. Il suffit de ce parfum, de ce contre-jour qui cerne d'or les peupliers, et elle est là, juste devant moi. Je la sens toute entière. Un enfant attendri les soirs de printemps, respirait jusqu'à l'ivresse un lilas et demeurait tout au long de la nuit penché sur le parc mystérieux de lune. Cet enfant je l'ai devant moi...

Je suis là, divisé de moi-même. Comment pénétré une enfance soudain si proche. En vain miroitent à la surface des champs les ombelles. En vain nous descendons la rivière aux grands saules roses. Ces choses de mon enfance, je les ai toujours. Le même vent se glisse en moi, me dénude, frôle sur ma chair une caresse vivifiante. Comme autrefois je me sens nu dans l'air. Je voudrai boire à la brise, me confondre à ce grand ciel de nuages.

Les mêmes landes tristes au ras du ciel ; et la même tristesse qui rode du ciel à mon cœur. Une tristesse venue de ce temps lointain m'étreint à voir pointer les colchiques. Une autre tristesse la submerge. Jamais plus je n'atteindrai cette enfance. Elle est contre moi, mais je n'y suis plus. Elle est contre moi tout entière debout, mais fermée.

Et je me penche vers la porte, la porte du jardin clos de mon enfance. Jamais plus je n'en franchirai le seuil. Jamais plus. O ma bien-aimée, jamais plus :

Aux portes de mon enfance se tient la mort.