L'Est Asiatique résistera-t-il au communisme ?

III Force et faiblesse du système occidental en Asie

Un périple dans l'Est-Asiatique vous amène donc à cette conclusion que ces pays ne sont plus préservés du communisme que : 1° parce que les Occidentaux tiennent un certain nombre de bases et ainsi les empêche d'y sombrer d'eux-mêmes ; 2° parce que l'URSS, et peut-être également la Chine, craignent une guerre généralisée que provoquerait leur progression.

Les bases.

Des bases : le système défensif occidental tient dans le maintien d'une espèce de ceinture stratégique autour de la Chine. Voici d'abord les Aléoutiennes, puis le Japon, Formose, les Philippines et l'Indonésie. Ce système est lui-même doublé d'une sorte de deuxième échelon avec les Îles Hawaï, Midway, Wake, Bonin, Mariannes, Yap et Palaos. Seulement ce système, s'il tient, présente un certain nombre de faiblesses. En premier lieu un système militaire est singulièrement dévalué quand l'armement est insuffisant. Or la guerre de Corée a montré l'insuffisance de l'armement occidental. Même la supériorité aérienne des États-Unis est une illusion : quand les américains fabriquent sept cents avions de chasse, les sino-soviétiques en construisent cinq mille. D'autre part ce système est ainsi agencé que toute rupture de ce fond rend fragile les autres éléments. Or il a été corrompu d'avance à Yalta quand Roosevelt a consenti aux russes la possession des Kouriles.  D'autre part et surtout il sombrerait d'un seul coup si les forces communistes parvenaient à forcer la charnière tonkinoise. Barrant la Chine du Sud dans ses voies naturelles d'expansion, assurant la défense de toute la péninsule indochinoise et de l'archipel indonésien le verrou indochinois est le point essentiel du système. Enfin et surtout un système aussi strictement militaire risque à la longue de ne pas pouvoir empêcher, notamment au Japon, la communisation du pays par voie interne.

La trouée japonaise.

Faiblesses d'autant plus graves que le jour risque de venir où le bloc sino-soviétique craindra moins de déclencher la guerre généralisée. À quoi peut tenir cette crainte, en effet, sinon d'une déficience dans certains armements. Énergie atomique ? Peut-être ; bien que personnellement nous soyons enclins à accorder à l'arme atomique moins d'importance qu'on le fait généralement. Alors ? L'embargo américain sur le matériel stratégique a porté ses fruits.

Au cours d'un voyage en URSS, nous avons été particulièrement impressionnés par le manque de main-d’œuvre vraiment qualifiée. En résulte une disette relative mais réelle, de roulements à bille et d'instruments de précision. L'URSS ne peut tenter une guerre généralisée, avec chances de succès final, que lorsqu'elle aura comblé cette lacune.

Or l'arsenal japonais est presque à sa portée. Le Japon étouffe dans ses frontières. Son niveau de vie représente seulement 50% de son niveau de vie d'avant-guerre, pourtant bas. Quatre vingt cinq millions d'habitants doivent vivre sur un espace qui n'en nourrissait déjà pas soixante dix. En 1950 le niveau de son commerce extérieur n'était que 30% de celui d'avant-guerre, et même si dans certaines branches il a doublé depuis 1950 la marge reste encore énorme. La balance des comptes n'est en équilibre que par les quelques cinq cent cinquante millions de dollars que rapporte au Japon son rôle de base de départ dans la guerre de Corée. Le Japon doit importer produits alimentaires (24%) et matières premières (62%) et le plus souvent en provenance de la zone dollar et à haut prix. C'est ainsi qu'il doit acheter son charbon pour 817 000 tonnes aux États-Unis, pour 900 000 tonnes aux Philippines, contre 715 000 tonnes dans l'archipel malais. Et la Chine qui avant la guerre lui en fournissait 500 000 tonnes ne lui en envoie plus que 50 0008.

On s'explique, dès lors, que pèse sur le Japon la hantise à la fois des matières premières chinoises et du débouché chinois. En 1950, premier symptôme, la chambre de commerce d'Osaka, qui jouit d'une grande influence, proposa un programme commercial allouant 40% à la Chine, 20% à la zone dollar et 20% à la zone sterling. À la même époque le gouvernement japonais a créé des commissions spéciales pour l'étude des possibilités de commerce avec la Chine. Qui mieux est, l'an dernier, le jour de la Pentecôte, le Gouvernement japonais a signé un accord commercial avec la Chine, destiné sans doute à n'être jamais appliqué, mais combien symptomatique pourtant...

Cette nostalgie japonaise pour le trafic avec la Chine est d'autant plus impressionnante qu'elle répond à quelque chose de naturel. Dans un monde économique, abstrait comme l'homo economicus, le couple Chine-Japon serait complémentaire. Sans les obstacles politiques, un tel rapprochement serait un facteur d'ordre international. Seulement pour le moment ce même couple signifierait les roulements à bille et le matériel de précision à l'URSS...


8 Le charbon chinois revient à peu près à moitié prix du charbon américain.