Caractéristiques de la lutte jusqu'en 1950

La guerre d'Indochine est caractérisée, et cela depuis le début, par un manque d'unité qui se manifeste sur les divers territoires par l'apparition de formes de lutte très variées.

Des raisons ethniques et géographiques peuvent en être la cause : Les pays vietnamiens très peuplés et réceptifs à l'idéologie du VM connaissent depuis le début des activités soutenues, alors que le Cambodge, le Laos et les pays montagneux et minoritaires du Vietnam n'ont pu établir que par degré une forme de lutte mineure.

Mais deux facteurs historiques tout aussi importants interviennent à leur tour :

Les conditions dans lesquelles la présence française s'est rétablie ont déterminé dès le début deux zones au caractère nettement tranché.

À la capitulation japonaise, les dirigeants VM étaient réfugiés en Chine ; ils disposaient dans la Moyenne Région du Tonkin, de quelques 5 000 guérilleros et dans l'ensemble du territoire indochinois, de cellules clandestines et actives, chargées du noyautage des populations et de subversion.

Ils n'eurent aucune peine, à leur retour au Tonkin, à déclencher une insurrection générale et à instaurer un régime révolutionnaire.

Mais en vertu des accords interalliés, les forces britanniques recevaient mission de désarmer les forces japonaises et de rétablir l'ordre au Sud du 16ème Parallèle, cependant que des troupes chinoises recevaient la même mission au Nord de cette ligne de démarcation, c'est-à-dire au Tonkin, au Nord Annam jusqu'à Tourane et au Nord-Laos.

Toutefois, il était admis que Chinois et Britanniques seraient relevés dès que possible par un corps français.

La situation allait évoluer de façon tout à fait différente dans chacune des deux zones ainsi définies.

Au Sud, en effet l'action des troupes britanniques, puis celle des troupes françaises qui les relevèrent promptement, permit de rejeter dans la clandestinité le régime VM à Saïgon, en Cochinchine puis en Sud-Annam et sur les Plateaux.

Au Nord, par contre, les troupes chinoises mirent beaucoup d'empressement à céder la place et ne firent rien pour empêcher le VM qui avait installé sa capitale à Hanoï d'imposer son régime.

Nous devons donc choisir les voies diplomatiques pour reprendre pied au Tonkin et au Nord-Annam et traiter avec un Vietminh déjà puissant. Les accords du 6 Mars permirent le débarquement d'un corps français à Haîphong et à Tourane ; se corps se répartit entre les principales villes situées au Nord du 16ème Parallèle. Après la période tendue, marquée par de nombreux incidents et qui dura jusqu'à la fin de l'année et permit à Vo Nguyen Giap de forger une armée régulière relativement puissante (53 000 hommes contre 15 000 français, chiffre strictement limité par les accords) qu'il crut pouvoir lancer dans l'agression du 19 décembre.

La victoire du communisme en Chine devait en 1949 permettre de donner à cette armée sans cesse perfectionnée une puissance matérielle relativement considérable, grâce à un apport massif d'armes et de munitions. C'est là le second facteur déterminant.

Pour ces deux raisons, la guerre en Indochine du Nord a pris depuis le début un caractère semi régulier qui contraste avec le caractère dispersé et sporadique des activités sur les autres territoires.

Nous allons maintenant, région par région, analyser succinctement l'évolution des formes de luttes.

En Indochine du Nord, le VM disposait avant la rupture du 19 décembre de 53 000 hommes de troupes régulières et de formations paramilitaires (TU VE et troupes populaires) aux effectifs difficilement évaluables.

L'agression générale lancée contre nos garnisons fut un échec, le Commandement VM renonça dès lors à une victoire décisive et décida de s'orienter vers une guerre de longue durée, dans laquelle l'armée régulière ne s'engagerait à fond que lorsque une supériorité indiscutable permettant une victoire décisive serait réalisée.

La précarité de l'armement et du ravitaillement en munitions, l'inexpérience des troupes et des cadres lui interdisait alors d'envisager une telle perspective dans un avenir immédiat.

Notre réaction après le 19 Décembre nous avait permis d'établir un contrôle puissant de la RC 5 entre Haïphong et Hanoï et d'entamer la pacification de part et d'autre de cet axe. Nam Dinh quoique isolé à l'origine demeurait un point fort.

Nous contrôlions en outre, la partie Ouest du Pays Thaï, Dien Bien Phu et Lai Chau, et la zone côtière de Doson à Moncay, ainsi que la RC 4 jusqu'à Langson et Dong Dang.

Au Nord-Annam, nous avions également établi notre contrôle sur la RC 1 de la rivière de Faifoo au S Giang et entamé la pacification des provinces de Hue, Quang Tri et Dong Hoi.

L'armée régulière VM se cantonna dans une attitude défensive et ne s'attaqua que timidement à nos point forts. Par contre, la guérilla et le terrorisme, menée par les troupes populaires et 4 formations d'auto-défense se développèrent rapidement dans les zones que nous cherchions à pacifier. Les organes de Commandement VM furent de leur côté repliés dans les réduits de la Moyenne Région.

Mais, dès cette époque, le VM crut pouvoir entamer une poussée vers le Pays Thaï et le Nord-Laos, où la densité de notre occupation permettrait d'envisager des succès et par lesquels le VM afin d'échapper à l'asphyxie cherchait à gagner les frontières, en particulier celles du Siam où un Gouvernement favorable à la cause rebelle avait permis la création d'un Front du Mékong, animé par quelques bandes légères de laotiens dissidents (Lao-Issara) et de Vietnamiens du Siam.

Dans les premiers mois de l'année 1947, deux poussées VM furent ainsi esquissées vers la province de Sam Neua et un régiment VM fut engagé contre les postes de Than Uyen et Binh Lu.

Mais l'effort VM se dirigea essentiellement vers l'organisation de son armée régulière qui fut mieux adaptée à la forme de la lutte et allégée pour mener la guérilla.

À la fin de 1947, notre initiative était totale, de vastes opérations furent entreprises d'octobre à décembre afin de détruire l'armée régulière rebelle et des organes gouvernementaux en Moyenne et Haute Région Bac Can, Cao Bang furent ainsi occupés et la RC 4 mise sous notre contrôle. Au Nord-Ouest Lao Kay tombait également entre nos mains et nous refoulions au Nord du Fleuve Rouge l'armée régulière Vietminh et poussions en direction d'Hagiang. Nous poursuivions, en outre, notre extension en pays muong (Hoa Binh) voie naturelle de liaison entre Tonkin et Nord-Annam.

L'armée rebelle avait subi des pertes en hommes et surtout en matériel, du fait de la capture et de la destruction de ses dépôts, mais elle demeurait en définitive peu touchée. Des organes du Commandement avaient été contraints au repli et à la défensive, ce qui avait quelque peu ébranlé leur efficacité mais ils demeuraient intacts.

Aussi les rebelles purent-ils passer à la riposte et entamer dès cette époque la bataille de la RC 4, objectif extrêmement vulnérable sur lequel ils devaient s'acharner pendant trois ans. En même temps, ils s'efforçaient de nous contenir au NE de Lao Kay et de reprendre le contrôle du Pays Muong.

Dans les zones que nous tenions fortement dans le delta du Tonkin et sur la RC 1, entre Quang Nam et Dong Hoy, la guérilla et le terrorisme demeuraient les seules armes du VM.

À la fin de l'année 48, le VM tente sinon de prendre l'initiative du moins de devancer le déclenchement de ses opérations : c'est la première « campagne » VM encore timide mais prouvant des progrès certains chez le Commandement rebelle : dirigée contre le Nord-Est du Tonkin, dans le cadre du plan Dong Bac elle s'attaque particulièrement à la région d'An Chau, nous contraignant à une riposte énergique.

Nous pouvons par ailleurs réaliser le plan opérationnel prévu qui nous permet d'étendre notre contrôle sur l'Est du Delta, sur le Pays Muong et de porter des coups sévères aux ateliers d'armement VM de la région de Chine Phu Nho Quan.

Mais en Haute et Moyenne Région, le VM poursuit la bataille des frontières. S'acharnant sur la RC 4, il engage par ailleurs une action soutenue contre le Pays Thaï, contre nos têtes de pont de la rive gauche du Fleuve Rouge, contre Nghialo et contre l'extension de notre dispositif en pays muong.

L'année 1949 voit s'amorcer un tournant décisif : la situation évolue favorablement en Chine du Sud pour les communistes. Les bandes frontalières agissent au profit des rebelles particulièrement dans le Nord-Ouest et dans la région de Langson un approvisionnement plus abondant en armes et en munitions est assuré aux forces du Vietminh.

Dès le début de l'année, Vo Nguyen Giap croit pouvoir lancer le slogan de la contre-offensive générale.

Les cadres de l'armée s'améliorent : tant du point de vue de l'efficacité que de la foi politique. La troupe s'aguerrit et à la fin de l'année, c'est le rebelle qui prend l'offensive par la campagne Le Loi dirigée essentiellement contre le pays muong où les rebelles s'assurent des succès passagers qui démontrent toutefois les succès réalisés dans le Commandement qui peut d'ores et déjà manier sur des fronts relativement vastes des forces importantes.

L'année 1950, enfin est plus décisive encore. La victoire chinoise est totale en Chine du Sud : le courant de ravitaillement en matériel de guerre s'amplifie et devient régulier ; il s'accompagne de la venue de conseillers militaires qualifiés. L'instruction de la troupe dans les corps d'entraînement chinois s'organise.

Dès lors, l'Armée VM se différencie. Le meilleur de l'armée régulière forme des unités Chu Luc (de force principale) unités mobiles pouvant être concentrées – Deux divisions légères d'infanterie, la 304 et la 308 sont constituées avec des régiments du Tonkin et du Nord-Annam.

Le reste de l 'armée régulière se confond avec les meilleurs formations paramilitaires pour donner naissance à des unités « régionales ».

La mobilisation générale est décrétée : elle signifie en fait le passage à la guerre totale : l'armée populaire est organisée et développée.

Même différentiation dans les missions : l'armée régulière ; les forces Chu Luc ont des missions exclusivement offensives. Elles n'engagent le combat qu'à leur initiative après s'être acquis un incontestable avantage numérique. Elles doivent au contraire rompre dès qu'elles sont en état d'infériorité.

Les troupes régionales sont bien armées, aussi bien armées que l'armée régulière. Mais leur mission est défensive et comporte en particulier la protection de l'armée régulière dont elles doivent couvrir le repli dans les cas critiques.

Quant à l'armée populaire, elle est formée par la population elle-même requise sur place en cas de besoin et remplit les missions auxiliaires : surveillance, guet, organisation du terrain, transport des munitions. Elle comporte par ailleurs des formations de guérilleros agissant dans le simple cadre local.

Ces mesures d'organisation qui comportent une refonte profonde de la structure des unités rebelles s'accompagnent pendant les premiers mois de 1950 d'un calme relatif et trompeur. La lutte se poursuit toutefois au Nord Ouest et surtout sur la RC 4 où interviendra précisément le réveil sévère de Septembre et Octobre.

Dans les zones fortement tenues du Delta Tonkinois et du Centre-Annam par contre, les conditions de la lutte n'ont pas varié. Sans doute, les unités rebelles ont-elles été valorisées et ont-elles fait preuve dans la guérilla d'une efficacité sans cesse en progrès.

Mais nous avons pu maintenir intégralement notre contrôle sur les régions vitales du Nord-Annam et l'étendre dans le Delta  où des opérations entreprises dans le Phat Diem et le Thai Binh en 48-49 ont permis de contrôler toute la région comprise entre le bas Fleuve Rouge et la mer, et où nous avons progressé au Nord dans les provinces de Vinh Yen – Phuc Yen  et Bac Nin.

À la veille des affaires de la RC 4, le VM dispose au Tonkin et au Nord Annam  de

308

A l'échelon immédiatement supérieur, le territoire est divisé en trois Lien Khu (intersecteur)

Lien Khu Viet Bac (qui englobe le Nord et le Nord Ouest du Tonkin) divisé en deux fronts :

- front Nord-Est qui comprend : 2 régiments réguliers

         4 régiments régionaux

         4 bataillons régionaux

- front Nord-Ouest qui comprend : 4 régiments réguliers

     3 bataillons régionaux

Lien Khu III (qui comprend le Delta et le Pays Muong) a 5 régiments réguliers

               5 bataillons régionaux

 

Lien Khu (les 6 provinces du Nord-Annam) comporte 3 régiments réguliers

- 1 régiment « Trung Lao » commandement opérationnel du Laos

- des unités régionales en formation.