Sous la marée du coton bleu

Revue Communautés et Continents

Nouvelle revue française d'Outre-Mer avril juin 1961

 

Nous ne savons rien de la Chine,  ou presque, et les récits de progressistes extasiés la cachent plus qu'ils ne la révèlent. Que de jours, veillant à la frontière, j'ai interrogé le dragon bleu couché sur l'horizon, j'ai scruté la barrière crénelée des montagnes chinoises...

Car notre destin est là. Il git parmi ce peuple de fourmis vêtues de coton. Aujourd'hui déjà, l'exemple chinois soulève, à travers l'Asie et l'Afrique, des millions d'hommes. La Russie, quand même « blanche », quand même grande puissance classique, effrayait. La Chine exalte, parce qu'elle défie « l'Homme blanc ». Comme elle est lointaine et peu connue, on ne la craint pas. Mais demain ? Les 600 000 000  de Chinois dans vingt-cinq ans seront un milliard. Il en nait chaque mois 1 000 000. Demain, c'est un milliard d'hommes a l'étonnante capacité de travail, exploitant un riche sous-sol. Voici trente ans au moins que Grousset nous en avertit.

Et nous ne voyons pas, dans cette démographie fabuleuse, une sorte de frein, une masse de besoins à satisfaire si monumentale qu'elle détourne de l'expansion. Sans doute, pour doter seulement d'une ampoule chaque foyer chinois, il faudrait construire plus de centrales que n'en possèdent réunis les États-Unis et la France. Pour donner un second costume à chaque habitant, on devrait tripler le nombre des usines textiles. Qu'importe... on n'éclairera pas les maisons et chacun ne possèdera qu'un seul bleu.

Il faut fermer les yeux pour ne pas voir, depuis dix ans, notre constante défaite. D'année en année, la carte du monde libre se rétrécit. Évidence, certes, mais évidence que personne ne paraît soupçonner. Aussi se demande-t-on si notre dernière chance ne serait pas un éclatement du bloc sino-soviétique. Ce mariage contre nature de la Russie et de la Chine ne se dissoudra-t-il pas ? Ces partenaires l'un de l'autre apeurés ne sépareront-ils pas leur route ?