Les Secteurs d'améliorations rurales d'Algérie

Une marche vers l' « Ouest » français.

Revue de l'Action populaire 07-08/1950

 

Crise algérienne, problème algérien, drame algérien même... Nous en avons tous entendu parler. Et pourtant, quand on débarque à Alger, tout cela semble irréel. La ville s'accroche aux collines comme une floraison sur un mur ; elle coule par chacun de leurs replis, dérive jusqu'au port en un trafic hurlant d'automobiles et de foule.

Alger a l'opulence et la vitalité d'une cité américaine. On se sent dans un monde encore ouvert à l'initiative, un monde où l'argent est encore une puissance créatrice. La misère orientale est sans pudeur. Elle s'étale au soleil vibrant d'avril. Et pourtant on ne la voit pas. Elle est submergée, recouverte par cette espèce de jeunesse économique.

Et là, justement, réside le drame. En Algérie, trop de contrastes s'affrontent. On est en Europe et presque en Amérique avec un milieu de colons pleins de dynamisme. On est dans la plus profonde Afrique également. Entre ces deux mondes inconciliés les « évolués » oscillent, rêvant de je ne sais quel impossible Orient animé de technique américaine. Et comme on est au bord de la Méditerranée, ce malaise (dont l'origine et l'essence ne sont probablement pas politiques) se traduit en termes de politiques.

Ne nous leurrons pas. Sous la façade d'une réelle prospérité, le malaise algérien est probablement le plus profond de l'Union Française ; le plus difficile à guérir certainement. Au point qu'on peut se demander si, plutôt que l'aborder de front dans son ensemble, on ne doit pas s'attacher à des solutions partielles, mais sûres : si, surtout, on ne doit pas remonter aux racines d'un mal, qui n'est qu’apparemment politique, pour apporter des remèdes adaptés à sa vraie nature : économiques.

Nous n'affirmons pas : nous interrogeons. Au terme d'une enquête qui nous a menés de Constantine à Nemours et du Tell jusqu'à Laghouat, nous n'oserons conclure que sur des points entièrement précis. Il nous a paru que la première solution était de faire participer les autochtones à l'essor économique de leur pays.

Certes, nous ne négligeons pas tout ce que la colonisation leur a déjà apporté. Nous n'avons connu l'Algérie que tardivement, longtemps après avoir parcouru le Moyen-Orient. À chaque pas nous nous disions : « Ces pays du Moyen-Orient, quel dommage pour eux qu'ils n'aient pas été colonisés ». Malgré cet apport envers lequel on est trop souvent injuste aujourd'hui, reconnaissons toutes les lacunes de la colonisation. Elle a été, trop souvent, plus une juxtaposition qu'une osmose. On est frappé dans le domaine agricole, celui que nous connaissons le mieux, de voir que les techniques les plus modernes, appliquées sur les terres des colons, n'ont pas influencé l'agriculture autochtone, toujours médiévale. Une certaine propagande clame trop vite que cela tient au fait que les colons se sont appropriés les meilleures terres. Bien souvent ces terres ne sont devenues bonnes que par leur effort. Je pense à cette Mitidja, riche comme une Beauce horticole et qui avant d'être « le jardin de l'Algérie » fut le cimetière de ses défricheurs. Non, le mal est moins simple, et de ce fait peut-être plus grave.

Partager l'essor économique. Cela suppose un effort d'industrialisation sur une base coopérative. Tâche entre toutes délicates. Une industrialisation pure et simple, selon les règles normales de l'économie capitaliste, serait un remède pire que le mal. Prenons garde de ne pas prolétariser l'Afrique. Prenons garde de ne pas étendre notre plus grande misère à un pays qui en est relativement préservé.

Un effort porté sur l'Agriculture présente à ce point de vue moins de danger : néanmoins notre Plan pour l'équipement Outre-Mer n'observe pas toujours – même dans ce secteur – toute la prudence nécessaire. Par contre le décret du 18 avril 1946 a introduit en Algérie une réforme du paysannat susceptible d'un développement fécond. C'est elle qui a été l'objet de notre enquête – enquête que nous avons effectuée pour l'Assemblée de l'Union Française où elle a donné lieu à un important débat. Nous voudrions ici en apporter les résultats, en montrant comment cette expérience algérienne s'insère dans notre doctrine.