Divers

Une leçon hollandaise

La Croix 2/2/1967

 

L'exposition « La vie en Hollande au XVIIe siècle », qui se tient au musée des Arts décoratifs, m'a déçu. Sans doute quelques toiles et surtout quelques gravures m'apparurent-elles admirables. Des Ruysdaël tout en ciel prennent l'âme. On éprouve pourtant une lassitude bien avant la dernière salle. De « leçon d'anatomie » en « prêche dans le Temple », on se noie dans l'anecdote. Le parti pris de donner une place prépondérante aux petits maîtres y contribue. Rembrandt n'appartient-il pas à ce siècle ? Évidemment, les organisateurs ont eu dessein de manifester l'esprit d'un peuple et son existence en un moment privilégié de son histoire, plutôt que  montrer des œuvres illustres. Mais la vie en Hollande au  XVIIe siècle, c'est aussi Rembrandt.

Si la peinture m'a déçu, je tirerai pourtant de ma visite un enseignement.

À travers cette exposition, la Hollande apparaît à la fois pays d'opulence et de parcimonie, d'esprit communautaire et d'existence repliée sur soi. Et ces qualités contradictoires ont engendré l'époque à laquelle nous convie l'exposition. Opulence des hanaps d'argent, des tissus épais dans l'atmosphère parcimonieuse d'intérieurs bien clos. On se récite à soi-même l'Invitation au voyage :

Des meubles luisants

Polis par les ans...

Mais surtout la dernière strophe :

Vois sur ces canaux

Dormir ces vaisseaux...

Car ces qualités contrastées culminent, si j'ose dire, en puissance. Des bateaux frémissent, navires de haut bord galbés à la forme du vent, gabares pour les rivières, leurs flancs vernis comme chefs-d’œuvre d'ébénistes, tout un monde de toiles et d'oriflammes mêlant ses courbures à l'orbe des nuages, perçant de beauprés et de vergues les matins brumeux. Et vient la Hollande dans son dynamisme commercial, lancée à la conquête du monde. Un panneau japonais plein de saveur, deux naïfs qui semblent illustrer par anticipation Paul et Virginie nous en racontent l'aventure.

Or, un siècle auparavant, les Pays-Bas n'étaient  que landes et marais, des dunes où les cormorans criaient leur famine, de basses eaux et de basses terres emmêlées en des confins indéfinis sous la grisaille des herbes salines. Aucun peuple ne fut si pauvrement doté. Un siècle, et le voici chargé d'or dans le luxe discret de ses maisons et le faste des ses municipalités.

Un miracle ? Non, et la leçon mérite d'être retenue : elle montre comment, par ses seules vertus et peut-être aussi ses vices, un pays est sorti de ce qu'on n’appelait pas encore le sous-développement. Tandis qu'au Louvre et à Saint-Germain on affinait déjà une économie de consommation, le peuple hollandais, à force de travail, d’âpreté au gain, de dureté au mal, de frugalité, voire d'avarice, s'est engendré lui-même comme un grand peuple. Son calvinisme le détournant de l'ostentation et des plaisirs, il ne prend joie que dans ses affaires. Elles prospèrent. Même elles lui rongeraient l'âme si ne les équilibraient le sens familial et une sincère piété. Quoi qu'il en soit, il transforme la terre. Cette petite puissance naguère famélique défiera Louis XIV.

Une leçon pour les pays sous-développés, la Hollande ? Sans doute. Mais aussi une leçon pour ces peuples industrialisés que l'excès de consommation condamne à l'égoïsme vis-à-vis du tiers-monde et peut-être à la ruine.