Autobiographie

Cantate pour une mort d'été

11/7/1966

Chronique pour les temps modernes

Quand viendra mon heure de mourir, j'aimerais que ce fût par un plein été.

J'aimerai que la terre, quand s'y mêlera mon corps, eût revêtu sa parure de feuilles. L'épousaille de la création, qui gémissante m'attend, je la souhaiterais dans la nuptialité des champs en fleurs.

Les cimetières des villes nous ont volé notre mort. Je hais cet appareil de couronnes en celluloïd, de chapelles en forme de cabines de bains, de grilles et de statues par quoi, à force de mauvais goût, nous tentons de cacher la mort et les morts. Vous que j'aimai, je ne vous retrouve pas dans ce bazar ni sous l'ombre maigre des sycomores, (ils ne sont beaux que ces quelques jours où l'automne et le printemps les habillent d'une même pourpre). Vous n'êtes pas derrière ces pots de cinéraires aux corolles bêtement accotées comme des pensionnaires en promenade dominicale.

L'été me donne le loisir de penser à vous. Je vous reconnais dans cette allée que vous avez prise, comme dans cet objet que vous aimiez. Ouvrant, vingt après que ma grand'mère nous eût quittés, sa boîte à gants, j'ai retrouvé son odeur. Vous êtes, hélas, chaque année plus nombreux pour m'accueillir en ces moments de loisir que seuls m'accordent juillet et août, puisque septembre me reverra sur les routes du monde, dans la confusion des hémisphères et des saisons.

Et puis, l'été, nous cessons un moment de nous agiter. Pour nous masquer la mort nous ne multiplions plus les « divertissements » parfois baptisés devoirs, aussi factices que les couronnes de celluloïd. Dans le loisir, la durée prend une densité, je dirai presque une certaine valeur d'absolu. L'instant existe. Nous le vivons sans nous encombrer d'un avenir factice, forgé à coup de projets. L'instant, soudain pur, devient le reflet de l'éternité.

Surtout c'est l'été qui parle vraiment de la mort, car il parle de résurrection. La terre prophétise, dans l'exubérance de ses feuillages retrouvés, la résurrection de notre corps. Elle nous dit la beauté qui sera la nôtre.  Elle entonne l’alléluia que nous clamerons. Azur, azur de la mer toujours jeune pour notre jeunesse éternelle ! Neige éclatante des montagnes, blancheur incandescente de leur cime pour notre pureté enfin conquise ! Le vent qui moire les blés et les frissons se poursuivent, le vent qui gonfle la voile et le bateau cingle dans la vague annoncent le vent qui nous emportera toujours plus avant dans une splendeur toujours plus neuve.