L'île inconnue

Diversité malgache...

Madagascar « petit continent disparate »... ce disparate, l'enquêteur classant ses impressions en est comme assailli. Dans la plaine de Morondava, les baobabs, ultimes héritiers des difformités de la préhistoire, portaient dans leurs ramures exiguës tout un peuple de perroquets gris. Très africains, des boutres longeaient la côte sableuse ; une chaleur accablante écrasait les plantations de tabac. Mais en Imerina (quelques heures de vol à peine), j'avais quitté des rizières, à l'aube frangées de gel. Les villages rouges et blancs, avec leurs maisons à étage et à balcon, montraient une coquetterie bourgeoise. Au pays Betsileo, les cultures inondées et le lacis de leurs terrasses évoquaient l'Indonésie. Pianarantsoa, provinciale et décente, s'était superposée dans mon esprit à Tanatave, chromo colonial pour illustrer un roman de Loti. Et les pistes parcourues à travers les plus vieux paysages du monde : de grands squelettes calcinés perçaient les étendues latéritiques. Chaque pli de ce désert abritait une étrange flore de pandanus et de ravenalas. Mais la côte Est m'avait semblé un paradis perdu dans le balancement des palmes. Diversité de l'habitat, diversité des hommes, du Merina énigmatique et fermé au bara athlétique et rude, au tamola presque nain. Dix-huit races principales, me dit-on, et dont le métissage est rare. Même en avion, ce disparate est perceptible. La cassure des Hauts Plateaux tombant à pic sur la plaine, la moutonneuse forêt de l'Est succède d'un trait aux pourpres sèches du nord.

Cette diversité est si frappante que l'enquêteur risque de s'y arrêter. Toute la vie politique peut lui sembler marquée de son signe. Ce qu'il verra d'abord à travers elle, et il ne se trompera pas, ce sont des conflits de races, d'autant plus violents, nous y reviendrons, que la décolonisation les libère. Le vernis colonial les avait comme estompés sous son uniformité. On parle beaucoup d'une révolte des côtiers contre la constante dictature des Hauts-Plateaux. C'est en vain, pourtant, que notre Administration avait tenté cette manœuvre en vertu du vieil adage « Divide ut imperes ». Quelques mois d'autonomie politique et l'application de la Loi-Cadre de 1956 ont réussi là où elle avait échoué. À peine les institutions de cette loi-cadre en place, les côtiers, pour la première fois ligués, ont, dans toute la mesure qui leur était possible, éliminé du conseil de gouvernement de l'île les représentants de Tananarive.

Les phénomènes de la décolonisation n'ont pas fini de nous surprendre. Oppositions, diversités : dans quel village Betsileo ou Sakallave n'ai-je pas été assailli de revendications contre les Merinas ? Oui, le disparate est le premier trait de Madagascar, et l'un de ceux à retenir pour quiconque veut essayer de discerner son devenir politique.