L'île inconnue

… et unité insulaire

On se tromperait pourtant à trop l'accuser. L'unité malgache est non moins réelle et non moins visible. Madagascar aussi vaste soit-elle, est une île, et c'est le propre des îles que l'unité dans le disparate. La rigueur des limites compense les diversités internes. Insularité signifie immigrations successives et cohabitations cloisonnées. Madagascar est le point d'aboutissement d'innombrables migrations : les races mélanésiennes se sont métissées d'Afrique et la première écriture se fit en caractères arabes. Mais deux unités fondamentales et susceptibles de s'imprimer sur toute la politique ; l'unité linguistique et l'unité religieuse. Sur ce point, comme d'ailleurs sur beaucoup d'autres, Madagascar ne souffre aucune comparaison avec l'Afrique. Le Malgache est compris et parlé partout. S'il comporte une variété dialectale, elle ne dépasse pas celle qu'on peut observer en Italie.

On trouve là, indéniablement, le ciment d'une nationalité. Unité religieuse aussi : celle d'un christianisme à peu près partout reconnu. Les Musulmans, la plupart des ismaéliens sont une poignée et presque personne n'ose plus se dire païen. Mais surtout unité syncrétiste au-delà du christianisme. Les morts règnent à Madagascar. Catholiques et protestants en sont obsédés comme naguère les païens. Enterrements et exhumations périodiques sont les grands événements de l'année. La psychologie religieuse de Madagascar reste animiste, culte des morts protecteurs ou persécuteurs des villages, caractère sacré du riz ou du bœuf. Cet animisme pénètre toute la vie sous le « masque social » de la religion. On peut sur ce point dire du Malgache ce que Marcel Griaule affirmait de l'Africain : « … le religieux, le juridique, le social, le technique reposent sur une conception du monde dont les principes métaphysiques se retrouvent dans chacun d'eux, d'une part, et que, d'autre part, chaque acte, fait ou chose comporte souvent une juxtaposition de plusieurs de ces aspects ».

Bien des anecdotes permettraient d'illustrer ce caractère religieux de la politique, avec tout ce qu'il comporte d'ésotérisme. Je sais, lors de récentes élections, des leaders politiques élevés à l'européenne et occupant de hautes situations qui ont échangé des serments la nuit devant le tombeau de la Reine. Non pas romantisme, mais référence à ces morts qui gouvernent les vivants. Il est mince aussi, le vernis de l'assimilation.

À ces facteurs naturels d'unité, la colonisation française a ajouté son extraordinaire capacité d'uniformisation. De 1885 à 1895 nous désunie, mal soumise à l'impérialisme hova de la Reine. Galliéni a imposé un système impérialiste uniforme. Il a mis partout en place des fonctionnaires appartenant à la race la plus évoluée, c'est-à-dire aux Merinas. La France, inconsciemment, a procédé à une « imérinisation » de Madagascar. Elle devait par la suite tenter de réagir mais trop tard. Le fait n'est pas isolé, Lyautey a créé l'unité marocaine contre laquelle on improvisa en 1930 une politique berbère périmée. Alors qu'en un siècle et demi nous avions forgé l'unité algérienne et après trois ans de lutte nationaliste le plan Champeix puis la loi-cadre avaient prétendu découper l'Algérie en tranches, politiques tardives qui aboutissent à perdre sur tous les tableaux. Par son administration omni-présente et omni-compétente la France a été le principale artisan de l'unité malgache.