À la Nouvelle Orléans, une vieille dame noire m'a parlé du Paris, de Napoléon III

Sans date

Il fait chaud. Voici plus d'une heure que je marche. J'ai suivi la pente de la Nouvelle Orléans, non pas la pente de son terrain – il est uniformément plat – mais la pente de ses maisons. Des gratte-ciels aux quartiers nègres, ces toits de plus en plus bas. La Nouvelle Orléans décline vers les marais qui l'entourent. Et déjà, auprès des arbres que les pendantes mousses grises endeuillent, ce ne sont que de petites maisons d'un étage, à peu près pareilles les unes aux autres, avec leur uniforme loggia où se balance attachée par deux chaînes, une escarpolette pour la sieste.

« Que fait-elle d'habiter là ? » me dis-je. J'ai connu à Paris une charmante néo-Orléanaise, Mis Élisabeth Parker. Toute blonde, toute mince, longue et flexible comme une tige et je la cherche. Me voici en plein quartier nègre. De luisantes matrones enturbannées rêvent au seuil de leur maison. Des négrillons ont monté un jazz avec des boîtes de fer blanc. Ils en jouent à vous assourdir. D'autres gamins dansent à leur musique un endiablé Charleston. Jetterais-je quelques sous. Ils redoublent le tintamarre.

J'ai sonné. C'est bien l'adresse telle que je l'ai relevée dans l'annuaire du téléphone. On m'ouvre : « Miss Élisabeth Parker ? » - « C'est moi », me répond une petite négresse bossue. Je n'ai pas compris. Répète : « Miss Élisabeth Parker, je vous prie» - « Mais, c'est moi ». Je ne comprends plus. J'en perds mon anglais : « Entrez donc ma mère parle français ».

Tout éberlué, j'entre quand même dans un minuscule salon où trône en agrandissement photographique les plus beaux noirs de la terre. « O Monsieur, que je suis heureuse d'accueillir chez moi un Français ». Et devant moi se lève une vieille dame, aux jupes relevées en panier qui me fait une révérence. « Asseyez-vous, je vous en prie ». c'est une reine qui m'y invite. Et tout prend un caractère d'irréalité. Cette vieille dame à la peau noire, au visage creusé – elle ressemble à la Momie de Ramsès – et qui me reçut avec cette grâce et cette qualité archaïque de politesse d'une Marie-Antoinette accueillant Fersen. Le contraste de ce visage, poignets ornés en guise de bracelets de petites ficelles, avec la préciosité du maintien est presque intolérable.

Mais la vieille dame parle. Elle me pose des questions comme si ma visite chez elle était toute naturelle. « Votre famille voyage-t-elle avec vous ? » - « Vous êtes de Paris, oh, que j'aimerais aller à Paris. Autrefois mes maîtres s'y rendaient chaque hiver. Ils en rapportaient de si belles choses. »

Et dans le salon minuscule, sous l’œil des nègres en chapeau haut de forme, impassibles dans leur cadre, elle évoque un Paris qu'elle n'a jamais vu, - un Paris de crinolines, de soupers chez l'Empereur, de cavaliers – et qu'elle croit toujours vivant. Non, quoique je lui dise, on ne voit pas d'autos à Paris, des Fords, des Packards ? Non, cela troue sa vision, ne cadre pas avec une image toute sa vie caressée, tendrement caressée.

« Revenez me voir, vous m'avez fait tant plaisir en me parlant de Paris ». C'est elle qui en a parlé. Elle ne m'a pas écouté ni compris. Une dernière fois, elle s'abime en une révérence venue tout droit de Versailles.

I am just a vagabond lover

Chante un jeune nègre en jouant des claquettes devant la porte. Le petit-fils de mon étrange marquise noire.