Vers une nouvelle union d'Afrique occidentale ?

9/10/1964

 

En septembre, le Président de la Côte d'Ivoire, M. Houphouet-Boigny, et le Président du Sénégal, M. Senghor, se sont rencontrés en Haute-Volta, en quelque sorte en terrain neutre, ce qui donne à cette entrevue quelque chose d'insolite. On sait aussi, qu'entre les deux Présidents subsiste une rivalité qui remonte au temps où ils se disputaient des portefeuilles dans les Gouvernements français. Depuis lors, leurs rapports furent difficiles et ont souvent pris l'allure d'une guerre froide africaine. Les observateurs ont donc dépensé beaucoup d'efforts pour savoir quels propos avaient été échangés. Certes nous ne prétendons pas les connaître exactement. Les circonstances nous ont quand même permis d'avoir quelques échos de très bonne source. Nous vous les livrons à titre strictement confidentiel.

Nous pouvons d'abord affirmer un premier point. Si l'entrevue fut brève et qu'aucun communiqué ne l'a suivie, il ne faut pas en conclure, comme font certains, qu'elle a tourné court. Au contraire, elle signifie que, devant certains périls extérieurs, Houphouët-Boigny et Senghor se sont rapprochés. La peur de la Chine peut être le commencement de la sagesse, surtout quand cette Chine propose au Mali, pomme de discorde entre les deux Présidents, de lui construire une usine textile, proposition qui vient juste d'avoir lieu. Ils ont assez de culture française pour connaître la fable de « l'huître et les deux plaideurs ».

Leur opposition s'était cristallisée entre le désir de Senghor d'une fédération étroite de l'Afrique de l'Ouest et l'opposition d'Houphouet à tout fédéralisme. Cette querelle, ils l'ont en partie liquidée dans leur réunion en constatant sans peine qu'elle avait à peu près perdu tout objet. Senghor a eu assez d'aventures avec son ancien Grand Mali pour être guéri des rassemblements prématurés. Houphouet a suffisamment assis l'économie de son pays pour craindre beaucoup moins qu'auparavant le rapprochement avec ses voisins.

C'est donc sur la décision de travailler à une union très souple des États de l'Afrique de l'Ouest que les Présidents se sont séparés.

Reste à faire passer cette décision dans les faits. Ceci n'est pas l'affaire des Présidents, mais de leurs experts, d'où la brièveté d'une rencontre en face à face.

Or, les obstacles se sont accumulés :

1- l'Union Douanière est pratiquement éclatée. Cet obstacle n'est pas le plus grave bien que les imbrications entre les droits d'entrée et l'ensemble de la fiscalité sont, dans certains  États africains, devenus si complexes que le résultat sera difficile à atteindre.

2- deux pays, la Guinée et le Mali, en se séparant l'un en droit et l'autre en fait de la zone franc, ont désormais des monnaies dénuées de toute valeur. Établir un ensemble de ces conditions est difficile. Le Général De Gaulle ne paraît pas convaincu de l'utilité de relever ces monnaies. Au surplus les gestes qui le lui permettrait n'ont pas été accomplis.

On va donc chercher le moyen de remédier quand même à cette difficulté considérable. En France et à Bruxelles, voire à Washington, beaucoup sont convaincu de la nécessité, pour lutter contre le danger chinois, de faciliter le rapprochement esquissé par les Présidents. On aura d'ailleurs un bon baromètre, avec le Conseil d'Administration de la Banque Centrale des  États de l'Afrique de l'Ouest, organisme tout désigné pour travailler à cette consolidation. Une fois de plus, on peut affirmer que l'avenir politique de l'Afrique est lié à son problème monétaire.

En tout cas, dans cette Afrique, parfois si troublée, une querelle qui la divisait paraît vraiment, après l'entrevue présidentielle, en voie d'apaisement. On a peu parlé de cette rencontre. Elle peut avoir pourtant des conséquences décisives.