Conférence à la fédération des teintures et apprêts

III – Les atouts de la France

Les risques qui pèsent sur les débouchés d'Outre Mer sont donc énormes. Ce sont plus que des risques parfois déjà. À peu près 50% des importations marocaines de tissu de coton viennent des pays à conditions de production anormales. Madagascar importe 76% de ses tissus de fibranne. Nous aurions tort pourtant de nous décourager, car la France possède encore en main, si elle veut bien les jouer, des atouts considérables.

Nous y sommes

Et c'est un atout déjà que nous soyons sur ces marchés. Les autres tentent de les gagner, avec parfois pour nous des victoires regrettables : nous y sommes pour le moment et tout à l'heure je vous ai cité des pourcentages impressionnants.

Notre second atout, en Afrique francophone et même à Madagascar, c'est la langue. Vous me permettrez de vous citer un souvenir personnel. Inquiet d'une mission de Hong-Kong qui se déplaçait à travers l'Afrique, je me suis appliqué à la suivre de ville en ville afin d'annuler ses effets. Je n'y ai pas eu grand'peine : seul un des membres de cette mission savait un peu le français ; tous les autres ne parlaient qu'anglais. Il leur était pratiquement impossible d'entrer vraiment en communication avec les Africains.

Un capital sentimental

Mais nous bénéficions encore plus d'un avantage dont nous ne savons pas tirer parti, qu'à Paris même on ignore : l'extraordinaire capital sentimental dont nous jouissons encore auprès des Africains. Notre presse est sur ce point souvent assez mal avisée. Elle assure d'inutiles publicités à tel ou tel propos fâcheux de leaders africains. Ces propos ne sont guère que verbalisme et surtout snobisme. Ils ne reflètent pas leur pensée vraie. Ces propos aigres leur paraissent un attribut d'une indépendance qui ne leur donne pas toutes les satisfactions qu'ils en attendaient. Ils traduisent beaucoup plus qu'une rancœur contre le régime antérieur un complexe certain d'abandon, ce complexe d'abandon si bien décrit par Mannoni dans la psychologie de la colonisation qui est surtout une psychologie de la décolonisation. Le danger est qu'à relater trop complaisamment ces propos on alimente en France une campagne cartiériste dont le seul véritable effet est de renforcer chez les Africains qui en ont connaissance ce complexe de l'abandon. Le risque est grave, car ce complexe peut les jeter, un jour ou un autre, entre les bras des nouveaux maîtres. Mais en réalité, dans l'état actuel des choses, ces propos sont un peu ceux qu'on se permet en famille, parce qu'on sait bien qu'on y sera toujours pardonné.

Un intérêt mutuel

Enfin, et ce dernier atout est peut-être le plus solide : notre intérêt et l'intérêt profond des Africains se rejoignent. Ce mot d'intérêt, on ose à peine le prononcer. Il vous a quelque chose de sordide. Le monde irait mieux pourtant si les hommes étaient un peu plus mus par leurs intérêts et un peu moins par leurs passions. Nous avons évoqué à plusieurs reprises notre symbiose économique avec l'Afrique. La France y trouve son compte : pourquoi le dissimuler ? Mais l'Afrique trouve encore plus le sien. À défaut de cette symbiose, c'est toute l'économie africaine qui s'effondre. Que serait-elle sans les surprix du café, les primes au coton, les subventions budgétaires etc... Les Africains, quelque soit leur lyrisme verbal sont de nature paysanne. Leurs paroles expriment certaines de leurs passions, mais heureusement ils perdent rarement, les mots envolés, le sens de leurs intérêts.

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