Maroc

Forces Nouvelles Numéro spécial Juin 1954

Texte du rapport présenté par Georges Le Brun Keris  au 10ème congrès du MRP

Lille 27-28-29-30 Mai 1954

 

Il est délicat de parler du Maroc au moment où arrive un nouveau Résident Général. Je n'ai jamais rencontré M. Lacoste, mais je me sens le devoir de lui donner toute sa chance. Je sais trop de quel prix nous paierions son échec. Voilà pourquoi je souhaiterais que des prédécesseurs abusifs ou des candidats évincés qui ne le sont pas moins, observent en ce moment même dans leurs propos un peu plus de discrétion.

Surtout que pour ce Résident Général la partie n'est pas facile. L'héritage des Résidents militaires est lourd, très lourd.  Rares sont les éléments sur lesquels il pourra s'appuyer, du côté marocain, aussi bien que du côté français.

Et puis, il y a le terrorisme qui se développe et s'amplifie... Seulement, si on veut résoudre la question du Maroc, il faut surtout ne pas s'hypnotiser sur le terrorisme. Le terrorisme est une conséquence. Il n'est pas la question du Maroc, mais seulement une manifestation de son acuité. Ne prenons pas l'effet pour la cause. À nous hypnotiser sur le terrorisme, nous serions comme les apprentis cyclistes qui, à force de regarder l'obstacle, viennent immanquablement buter dessus.

À la situation présente, on ne trouvera les vrais remèdes qu'en examinant vraiment la question au fond. Si j'en avais le temps, un exposé historique s'imposerait aussi. Lui aussi, il remonterait à l'avant-guerre et notamment à ce « dahir berbère » de 1937, qui a été à l'origine de toute la crise marocaine. Il faudrait – là encore – parler des Américains et spécialement de Roosevelt, ou de l'erreur commise par le général de Gaulle en négociant directement avec le Sultan, par dessus la Résidence, le départ d'un Résident. Il faudrait encore plus montrer l'incapacité des Résidents successifs à jouer leur vrai rôle de conseiller, de guide, voire d'ami, auprès du Sultan, rôle si bien joué par un Lyautey ou par un Noguès. La question du Maroc, elle non plus n'a jamais été entière. Cette question qui, au-delà de tous ses aspects accidentels, au-delà de tous les « il n'y a qu'à », peut se résumer dans une formule : la contradiction entre un pays en pleine croissance, en pleine évolution, un pays complexe, composé de communautés hétérogènes, elles-mêmes divisées intérieurement, et le système sclérosé du Protectorat. Le Maroc, on l'a souvent dit, est un enfant grandi dont le vêtement est trop petit. Les servitudes internationales ont empêché que son système de gouvernement évolue au fur et à mesure de sa croissance. Or, les vieilles méthodes ne peuvent plus suffire pour un pays qui vit, sur tous les plans et dans toutes les catégories de sa population, la plus extraordinaire révolution qu'on puisse imaginer.