Nous avons évité à notre Afrique le sort du Congo

Des principes alors révolutionnaires

Lancé dans mon texte comme dans une aventure, telle était ma crainte, j'évoquais intérieurement le premier congrès du MRP, celui de 1945, où, sous la présidence de Jean-Jacques Jouglas, Louis Aujoulat avait présenté ce même rapport, mais qui portait encore le titre « politique coloniale ». J'évoquais l'orateur proclamant ces principes qui nous firent tant vilipender.

Il disait : « Il ne peut être question de reprendre, quand on parle de colonies, certaines formules qui autrefois paraissaient naturelles, mais qui impliquaient … des idées de domination ou d'utilisation intéressée à des fins économiques ou stratégiques ». Il disait encore : « L'organisation de la communauté française (oui, un vocable dont nous pouvons revendiquer la paternité) implique que soit respectée la personnalité économique, sociale et culturelle de chacun d'eux. Elle ne veut leur imposer ni une manière de vivre, ni une manière de penser ». Plus révolutionnaire encore pour l'époque cette phrase qui, note le procès-verbal, fut applaudie : « Sans doute avons-nous le droit de considérer notre civilisation et notre culture comme dignes d'exportation, mais ce n'est pas une raison suffisante pour les imposer d'office à des gens qui veulent bien se compléter à notre contact, mais qui désirent d'abord rester eux-mêmes (comme cette phrase sonne son Marcel Griault) » Et l'orateur s'élevait contre la prétention de « faire avec les colonisés des Français malgré eux ».  Il allait plus loin, protestant contre le paternalisme impérial : « Qu'il ne soit plus question de travailler au bien-être de ces populations sans elles et sans avoir consulté leurs représentants qualifiés ».

Pour mesurer l'audace de ces propos, rappelons-nous que nous ne les tenions pas si longtemps après les manifestations provoquées par les « Chansons Madécasses » de Ravel ! Ainsi, quel tollé de la part de ceux qui, aujourd'hui, jouent les champions de la décolonisation, parce qu'Aujoulat s'était écrié : « L'aboutissement... c'est l'émancipation tant sur le plan économique que sur le plan social, intellectuel et politique », ajoutant : « Qu'on fasse accéder – et sans esprit de retour – les élites indigènes à l'administration de leur pays et à la gestion d'affaires qui sont après tout leurs affaires ».

Ces propos paraissent aujourd'hui bien anodins, ne fût-ce que nous avons fait pénétrer ces idées dans une opinion alors rétive. En 1945, ils nous firent qualifier d'incendiaires.

De congrès en congrès, nous n'allons pas cesser d'affirmer, face parfois à un colonialisme déchaîné, ces revendications humaines. Mais traiter de l'outre-mer dans un congrès politique était déjà, à l'époque, une originalité. Nous fûmes bien heureusement exemplaires et assez vite d'autres formations nous imitèrent, si bien que, dans une France pourtant négligente, s'est, à l'époque, maintenue une conscience d'outre-mer.