Le socialisme africain ne doit pas être un épouvantail

La grande peur des investisseurs

Les Gouvernements africains se réclament pour la plupart du socialisme. Leurs dirigeants en manient le vocabulaire. Or, au même moment, ces Gouvernements sollicitent des investissements privés. Ils font appel au capitalisme et lui consentent, pour l'attirer, des avantages parfois exorbitants. Or, c'est un fait, ce mot socialisme, même accompagné d'épithètes, même glosé d'explications lénitives, même prononcé par des hommes d’État visiblement conservateurs, effraie les investisseurs éventuels. Il fait plus : il les écarte.

De cette impression produite par le seul mot « socialisme », je peux apporter deux preuves. Le Président Tsiranana, certainement le moins aventureux des Chefs d'États de l'ensemble francophone africain et malgache, pour les raisons sur lesquelles je n'ai pas à épiloguer ici, a prononcé ce mot. Immédiatement, et comme par un effet magique, les investisseurs se sont éloignés de son pays. On a pu même observer un début de désinvestissements, de repliement des capitaux. Depuis lors, le Président Tsiranana a trouvé les gestes qui rassurent. Le fait n'en est pas moins symptomatique. Mon autre preuve est a contrario. Prennent la tête du développement africain les  États qui le plus soigneusement ont évité l'emploi de ce terme : Cameroun et Côte d'Ivoire. La réussite extraordinaire de celle-ci a plusieurs causes. Elle est due au génie opiniâtre de son Ministre de l’Économie, M. saller. Elle est due à des conditions naturelles relativement favorables. Mais elle est due surtout au soin persévérant mis à rassurer les capitaux en exorcisant le spectre du socialisme.

Telle est donc la crainte européenne. Est-elle fondée ? La réponse est difficile, car le mot « socialisme » recouvre en Afrique des réalités différentes. Il n'a certainement pas le même sens au Mali et au Sénégal, en Guinée et en Haute-Volta. Pour répondre valablement, il faudrait avoir le loisir de se livrer à une analyse précise non pas du socialisme africain, mais des socialismes africains, et le principal grief qu'on peut sans doute adresser, en la matière, aux hommes d'États africains, est d'user d'un vocable par trop ambigu. Le pavillon couvre des marchandises disparates. Telle est sans doute l'excuse des investisseurs à s'effrayer d'un mot qui devient en quelque sorte « tabou ».