Quatre escales africaines

Côte d'Ivoire

La Côte d'Ivoire apporte une illustration a contrario des propos que je viens de tenir, car la Côte d'Ivoire n'a pas encore connu les amertumes de l'indépendance. Elle a su l'acquérir avec ses dorures et ses girandoles mais sans en acquitter le prix. Qui la gouverne, en effet, sous la férule du Président Houphouët-Boigny ? Un tout puissant Ministre des Finances et de l’Économie qui, ancien Gouverneur de la France d'Outre-Mer, a bâti jadis à Paris le Premier plan quadriennal de la République Française, M. Saller. Gouverneur de la France d'Outre-Mer est aussi le Directeur de Cabinet du Président Houphouët-Boigny, M. Nairey. Le secrétaire Général du Gouvernement, M. Belkiri, est Préfet de la République Française. Le Président de la Cour Suprême, M. boni, est un ivoirien authentique, mais en France il avait atteint dans la magistrature le grade très élevé de Procureur Général de la République. Ajoutons une pléiade de conseillers techniques français qui forment progressivement une élite de jeunes fonctionnaires africains. Tant que vivra le président Houphouët-Boigny, la Côte d'Ivoire ne connaîtra pas les amertumes de l'indépendance. Le réalisme des Baoulés l'en a préservée.

Le tableau est-il pourtant sans ombre ? Ici, l'armée et sa capacité de pronunciamiento sont moins à craindre qu'ailleurs car le Président  Houphouët-Boigny, en vieux routier de la politique formé à Paris, a su diviser ces forces entre sa propre tribu, les Baoulés, et des étrangers, les Mossis de Haute-Volta. Ainsi en jouant des uns et des autres, voire des uns contre les autres, est-il mieux qu'ailleurs préservé d'un coup d’État militaire. Par contre, la fragilité du régime réside dans cette Économie même qu'on vante comme la grande réussite. En premier lieu, la Côte d'Ivoire est encore trop subordonnée à la monoculture du café. En second lieu, son secteur moderne se cantonne trop exclusivement aux entreprises d'extrême aval. L'économie ivoirienne prend trop la figure d'une croûte à la surface du pays. Autre fragilité : M. Saller est aussi détesté dans le pays que Richelieu ou Mazarin dans la France du XVIIème Siècle. Les Ministres ne se gênent pas pour exhaler leur haine contre lui, les fonctionnaires non plus. Un tel flot de haine constitue une permanente menace.