Quatre escales africaines

Sénégal

Pour quiconque se rend en Afrique Noire francophone, une constatation s'impose : la décolonisation se paie et même elle coûte cher à ceux qui en bénéficient. Les conséquences en ont jusqu'ici été voilées par l'effort particulier accompli par la France en faveur de ses anciennes colonies. Cet effort diminue d'année en année, si bien que le Président Senghor a pu me dire : « Nous avions connu les joies de l'indépendance, nous en connaissons à présent les amertumes. » Ce propos, en forme d'avertissement, il l'a également tenu au nouveau Président de la Gambie en lui expliquant qu'était fini pour cet étrange pays en doigt de gant, le temps où la fraude douanière suppléait aux autres ressources et qu'il allait devoir, lui aussi, créer une fiscalité avec tout ce que cela implique d'impopularités et de désagréments.

Ce mot désabusé du Président Senghor a pour cause la situation de marasme économique et de malaise syndical de son pays. De fait, le Sénégal donne une impression de retombée au fur et à mesure que cesse de le soutenir l'aide française. Le retrait des troupes françaises, que « je n'avais pas demandé » m'a dit Senghor, la disparition du surprix de l'arachide : double injonction de richesse aujourd'hui tarie. Le Président n'en accuse pas la France, mais la CEE contre laquelle il exhale une vive amertume considérant que la Convention de Yaoundé a été pour les États associés une sorte de marché de dupe.

« Nous avons quatre ans très difficiles et il faut qu'on nous aide » dit le Président. De fait, le Sénégal a besoin, à coup sûr, d'une aide extérieure pour doubler le cap où il se trouve engagé. Il s'agit pour lui de revenir à un étiage économique normal, alors que la colonisation lui avait permis de vivre au-dessus de ses moyens et que les premières années de l'indépendance ont encore accru ses dépenses (armée, diplomatie, etc... ). N'a-t-il pas actuellement 35 000 fonctionnaires, pour un pays pauvre de 2 500 000 habitants ? Mais un retour à l'étiage normal ne se fait pas sans à-coups. Le régime lui-même peut en pâtir, non qu'on ait à redouter les forces syndicales. Celles-ci ne seront jamais les arbitres en Afrique, sauf quand la Chine les prend en main ou quand l'armée les appuie. Mais j'ai prononcé le mot d'armée : voici  le véritable arbitre dans l'Afrique d'aujourd'hui.